Vie de famille

«Tu peux pas comprendre, t’as pas d’enfants»

«Tu peux pas comprendre, t’as pas d’enfants»

«Tu peux pas comprendre, t’as pas d’enfants» Photographe : Shutterstock Auteur : Manal Drissi

Il n’existe pas pire arrogance que celle d’un parent. Non, même pas chez Richard Martineau.

Le parent, il est arrogant gratis et tu ne peux pas lui fermer le clapet avec une télécommande. Tout lui est dû, on doit endurer ses charmants morveux sans dire mot et il y a juste les autres parents qui le comprennent. Une vraie secte.  

Et gagner un débat sur la parentalité contre des parents, c’est impossible. Tôt ou tard, ils sortent l’argument qui tue : « Tu peux pas comprendre, t’as pas d’enfants ». C’est l’équivalent de dropper un argument religieux dans un débat scientifique.  

Ils ont un bébé de six mois dans les bras et ils parlent comme s’ils avaient élevé 13 enfants dans un deux et demi en région. Un enfant, c’est un enfant. Pas besoin de s’être fait massacrer l’entrejambe pour comprendre ça.  

Il y a deux ans, implacable, je me suis fait engrosser dans le seul et unique but de comprendre ce que la parentalité avait de si complexe que les 80 000 mots de la langue française ne suffisaient à l’expliquer (ça et pour empocher les prestations).   ***   Deux heures du matin. Fiston a deux mois. Il hurle imperturbablement depuis au moins trois mois. Oui, il a pleuré plus qu’il n’a vécu.  

« Chu pu’ capab’! »   « Laisse-le pleurer. Tu vas devenir folle. »   On avait tout essayé. Tout-e. Restait juste à le laisser pleurer et aller prendre l’air. C’est important pour la santé mentale d’un parent d’être capable de décrocher. Anyway, le bébé n’en mourra pas. Un bébé, ça pleure. Je savais tout ça et plus encore. Je savais même que le laisser pleurer, ça le rendrait manipulateur. Je ne serais pas la mère d’un politicien, no way.  

Sauf que j’en étais incapable. À mon corps défendant, j’étais aimantée à ce petit tas d’humain qui avait tatoué mon corps de son passage. Je ne pouvais pas ne pas essayer de le consoler, même si j’avais envie de le défenestrer.  Ça ne s’expliquait pas.  

Au fil des mois, les bémols se sont multipliés. Je me suis pris un coup d’humilité dans le ventre. C’était donc vrai. C’est à présent moi, la mère arrogante qui souvent le pense sans le dire. On ne comprend pas tant qu’on n’a pas d’enfant. Je ne te ferai pas croire qu’être mère, c’est Woodstock sur un trip d’acide. Mais c’est à la fois d’une douceur infinie et d’une difficulté sans nom. Avant d’être parent, même si l’on travaille en CPE, on punch out un manné. Physiquement et mentalement. Un parent, ça ne punch jamais out. Même pas quand ça punch in au travail. La seule chose qui change au bureau, c’est que l’intimité aux toilettes existe.  

Toi, tu vois l’enfant comme un meuble IKEA. En suivant les étapes – quitte à sacrer un peu – tu vas réussir ça comme un pro et avoir une affaire de plus à déménager. Sauf qu’un enfant, c’est plus comme un meuble livré avec le mauvais manuel d’instruction et qui se démonte au fur et à mesure que tu le bâtis. Pis tu passerais ta vie à replacer la même étagère s’il le fallait. En sacrant, mais tu le ferais pareil.  

Mon implication émotionnelle embrouille ma raison, c’est vrai. Mais ça ne veut pas dire que je ne réfléchis pas. Si tu savais comme je réfléchis. S’il existait un tout-inclus pour des vacances mentales, je serais membre du Club Med. La maison, le quartier, l’auto, les jobs, les finances, les activités, les voyages, l’épicerie, la couleur du divan, tout, tout, tout doit être décidé en fonction des enfants. On ne fait que ça, penser aux enfants.  

Toi, tu as une chose que je n’ai pas : le recul. Ce que le recul a de plus que l’expérience, c’est la vue d’ensemble. The big picture , comme dirait l’autre. Mais ce n’est pas parce que qu’on voit Paris d’un hélicoptère, qu’on la comprend mieux que les Parisiens.  

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