Vie de famille
Tannée de travailler? On rentre à la maison!
Toujours à la course entre le boulot et la maison, on rêve parfois de dire «bye-bye, boss!» et de devenir femme au foyer. Utopie ou objectif réalisable? Des témoignages de mamans qui ont fait le saut et des conseils de spécialistes pour nous aider à y voir clair.
Pendant son premier congé de maternité, Stéphanie était constamment tiraillée. D'un côté, elle se sentait bien à la maison et adorait se consacrer entièrement à son petit garçon; de l'autre, elle envisageait avec enthousiasme les défis qui l'attendaient au travail. Quatre ans plus tard, avec un enfant en plus, elle se sent toujours aussi déchirée. «J'ai l'impression de me donner à moitié dans toutes les sphères de ma vie. Idéalement, j'aimerais trouver un emploi à temps partiel pour arriver à mieux concilier travail et famille, ou bien cesser carrément de travailler pendant quelques années.»Christine Dupont n'a pas vécu cette ambivalence. Pour elle, c'était clair: elle serait maman à la maison. «Pendant mes études universitaires, je prévoyais déjà interrompre ma carrière pour élever mes futurs enfants. Je voulais prendre du temps avec eux et ne pas leur imposer le stress généré par le tourbillon du travail, de la garderie, des soupers à préparer en vitesse.» Comme prévu, quand son petit Philippe est né, elle a quitté son emploi d'enseignante au primaire.
Le choix de Christine est celui d'une minorité. On est nombreuses à en rêver (70 % des mamans qui travaillent, selon un sondage CROP-La Presse publié l'an dernier), mais bien peu passent à l'acte. En fait, 78 % des mères avec des enfants de moins de 6 ans sont sur le marché du travail, selon Statistique Canada. Et cette tendance n'est pas à la baisse, contrairement à ce que laissent croire les reportages sur l'épuisement des mères au travail et la difficile conciliation travail-famille. En effet, depuis 1976, où 30 % seulement des mamans occupaient un emploi, la proportion des mères au travail ne cesse d'augmenter.
Traditionnelles ou avant-gardistes?
Celles qui décident de revenir au mode de vie de nos grands-mères sont bien conscientes d'aller à contre-courant. L'ironie, c'est qu'en incarnant le stéréotype de la femme au foyer elles brisent le stéréotype moderne de la maman qui conjugue marmots et boulot.
Dans une société qui valorise le travail rémunéré, ce choix exige une bonne dose de détermination, car abandonner son emploi signifie perdre le statut social qui vient avec. Les mères scolarisées se heurtent souvent à l'incompréhension de leur entourage. «Des personnes m'ont dit que je gâchais ma vie, que c'était du gaspillage, un recul pour les femmes», raconte Christine.
Josée Monast rage d'entendre des commentaires comme ceux-ci. «La véritable émancipation des femmes, c'est de pouvoir choisir entre la maison ou le marché du travail et de bien vivre avec sa décision», soutient cette ancienne secrétaire juridique qui nage en plein bonheur en veillant à temps plein sur ses trois filles de 1 à 4 ans.
«Le regard que la société porte sur les mamans à la maison est en train de changer, estime toutefois Line Boutet, intervenante à Naissance Renaissance Estrie. Les femmes qui mettent leur carrière en veilleuse pour élever leurs enfants se sentent davantage valorisées que celles qui les ont précédées.»
De nos jours, on est maman à la maison par choix. La joie de voir les enfants grandir, la satisfaction de les élever soi-même, la volonté de passer plus de temps avec eux sont les principales raisons invoquées. D'autres femmes, épuisées par un rythme de vie essoufflant, décident de balancer leur emploi avant d'y laisser leur peau. C'est le cas de Dominique Veilleux, comptable et maman de William, 17 mois. «Après mon congé de maternité, j'ai repris le travail pendant trois mois. Mais ça m'arrachait le coeur de ne pas être avec mon fils pendant la journée. Et le soir, j'étais trop fatiguée pour profiter de sa présence. Je ne voulais pas qu'il vive avec une maman irritable. J'ai donc démissionné.» Dès ses premières journées à la maison, elle a vu un changement. «Le climat familial est devenu plus harmonieux. J'ai réalisé que les enfants sont comme des éponges: quand on ne se sent pas bien, ils le ressentent, et vice-versa.»
Pour Nicole Desjardins, thérapeute conjugale et familiale, peu importe ce qui nous motive, l'important, c'est d'être convaincue qu'on prend la meilleure décision en regard de notre propre situation, de notre personnalité et de nos intérêts. Maman de deux garçonnets de 3 ans et 14 mois, Annie-France Charbonneau a quitté son emploi pour suivre son conjoint, muté à l'étranger. Devenue femme au foyer, elle avoue s'ennuyer de son milieu professionnel. «J'avais un poste très intéressant dans le secteur des communications. Quand mes anciens collègues me parlent des projets au bureau, j'ai un petit pincement au coeur. Je me sens déconnectée et la valorisation professionnelle me manque.»
Après avoir expérimenté la vie de mère à la maison, Marjolaine Caron a, quant à elle, décidé de retourner sur le marché du travail. «Passer mes journées à jouer et à m'occuper des filles ne me suffisait pas sur le plan intellectuel. J'avais besoin de parler d'autre chose que de Caillou!» Certes, cette technicienne de laboratoire, maman de deux fillettes de 1 et 3 ans, reconnaît qu'il est parfois essoufflant de concilier travail et famille. Mais l'effort en vaut la peine, selon elle. «Je suis plus épanouie. J'ai une vie à moi. Je ne suis plus seulement une mère.»Une décision de couple
Un bébé, ça se fait à deux. Il doit en être de même de la décision de renoncer à un salaire pour s'en occuper à temps plein. «Il faut que ce choix soit celui du couple, pas seulement celui de la maman, car les deux conjoints verront leur mode de vie changer», rappelle Nicole Desjardins. Ainsi, à moins que notre amoureux ne gagne un excellent salaire, on devra vraisemblablement se serrer la ceinture.
Le papa doit aussi être à l'aise avec l'idée qu'on se consacre à la famille. Car, si l'impact financier est un élément majeur, ce n'est pas le seul à considérer, insiste Nicole Desjardins. «Un couple de professionnels qui m'a consulté vivait beaucoup de tensions parce que Madame souhaitait désormais travailler à temps partiel. Monsieur ne reconnaissait plus la femme de carrière indépendante qu'il avait épousée. Il craignait qu'elle ne dépende trop de lui, financièrement et affectivement, et ne voyait aucun avantage à changer de style de vie.»
Mieux vaut en effet être sur la même longueur d'onde. «C'est important de se sentir épaulée par notre conjoint, confirme Josée Monast. Il doit reconnaître et apprécier la valeur de ce qu'on fait.» Cette compréhension n'est toutefois pas toujours aussi présente qu'on le voudrait. «C'est un travail à temps plein que de s'occuper des enfants, mais beaucoup d'hommes ne le réalisent pas, témoigne Annie-France. Mon conjoint, par exemple, a parfois l'impression que j'ai relaxé toute la journée. C'est un peu frustrant!»
Avant de faire le saut, Nicole Desjardins conseille d'en discuter à fond. Que pense notre amoureux des mamans à la maison? Quels avantages voit-il à cette situation? Quels inconvénients? Est-il à l'aise d'assumer le rôle traditionnel du papa pourvoyeur? On règle aussi des détails pratiques, les tâches ménagères, par exemple. Doit-on assumer toutes les corvées parce qu'on est à la maison? Attention aux mauvaises surprises si on n'aborde pas le sujet avant.Questions de sous
A-t-on les moyens de se priver d'un salaire? On regarde d'abord les économies qu'on réalisera: moins de frais de transport, de vêtements, de lunchs au resto, pas de frais de garde, etc. Sauf de rares exceptions, toutefois, on devra adopter un train de vie plus modeste.
La planificatrice financière Lison Chèvrefils suggère d'analyser nos dépenses sous la loupe de nos valeurs. «Le budget, c'est plus qu'une colonne de chiffres. Derrière chaque dépense, il y a des choix, des priorités. Pour décider où couper, on doit se demander quelle importance on accorde à chacune.» Par exemple, certaines familles se passent d'une deuxième voiture. Pour d'autres, le deuxième véhicule est non négociable. On peut acheter une maison plus petite, magasiner dans les friperies plutôt que dans les boutiques, emprunter des livres à la bibliothèque au lieu de les acheter, etc.
Ne pas négliger non plus les petites dépenses, qui, en s'accumulant, finissent pas faire de gros montants: eau en bouteille, billets de loterie, muffin acheté au dépanneur, etc. Puis, avec l'aide d'un logiciel comptable ou d'un spécialiste, on évalue la réduction d'impôt dont on bénéficiera avec un seul revenu au lieu de deux. On décide ensuite si on peut se permettre l'aventure.
Chéri, as-tu 20 $?
Jusqu'ici, on avait un salaire dont on disposait à notre guise (une fois les dépenses du ménage payées, bien sûr). Du jour au lendemain, on perd notre autonomie financière. Une situation parfois difficile à vivre. «Si on doit quémander de l'argent chaque fois qu'on veut aller chez le coiffeur, on se place dans une position intenable», met en garde Lison Chèvrefils. Elle suggère que le conjoint verse à la mère au foyer une allocation que celle-ci peut utiliser comme bon lui semble, sans rendre de comptes. Ce montant, établi selon les revenus et les besoins de la famille, doit être distinct du budget familial.
Par ailleurs, pendant nos années passées à la maison, on ne cotise plus à la Régie des rentes du Québec, ce qui réduira le montant qu'on recevra à notre retraite. Si notre conjoint en a la capacité financière, Lison Chèvrefils recommande qu'il contribue à notre REER. On aura ainsi plus de sous à notre retraite en plus de bénéficier immédiatement d'avantages fiscaux.
On vit en union de fait? On n'aime pas y penser, mais on pourrait se retrouver démunie en cas de séparation puisque notre conjoint ne serait pas tenu par la loi de partager avec nous son REER et les biens qu'il a achetés. Pour se protéger, on signe devant un notaire une convention d'union de fait qui prévoira notamment le partage des biens de façon équitable.Briser l'isolement
On craint de s'ennuyer, de manquer de contacts avec d'autres adultes? «Rester à la maison ne veut pas dire rester dans la maison», rassure Josée, qui participe assidûment aux rencontres des Matinées mères-enfants, à Saint-Hilaire, et qui fait même partie du conseil d'administration de l'organisme. La province compte plusieurs regroupements semblables. «On peut aussi s'inscrire à un cours mère-enfant, aller à l'heure du conte à la bibliothèque, au parc», énumère Josée. À tous ces endroits, on rencontre des femmes qui partagent les mêmes valeurs que nous et qui peuvent devenir des copines.
D'après Nicole Desjardins, ce réseautage est essentiel. «Si notre conjoint est le seul adulte qu'on voit, on risque de trop l'accaparer et devenir dépendante de lui. Il n'arrivera jamais à répondre à notre soif d'échanges et cela peut créer des tensions dans le couple.»
Attention, également, à ne pas prendre toute la place auprès de notre marmaille, au détriment du papa. «Le soir, on prend un peu de recul et on laisse le papa interagir avec ses enfants, propose Nicole Desjardins. Lui aussi doit créer des liens avec eux.» Christine sort deux soirs par semaine pour un cours de step et du bénévolat à sa paroisse. «Et tous les soirs, c'est mon conjoint qui donne le bain à notre fils.» Maman de Sébastien, 2 ans, Isabelle Deslandes souligne qu'on doit se permettre des petits plaisirs. «On n'est pas que des mères! Il faut recharger nos batteries en sortant sans les enfants de temps en temps.»
Quand les enfants grandissent
La plupart des mamans prévoient réintégrer le marché du travail un jour. Comment seront-elles accueillies par les employeurs? Pas si mal, selon Danielle Labre, conseillère en ressources humaines agréée chez Brochu et Labre. «Les employeurs sont plus ouverts qu'avant, surtout que des pénuries de personnel sont prévues dans plusieurs domaines. Toutefois, leur accueil dépend beaucoup de l'attitude de la femme qui revient. A-t-elle confiance en elle? Il ne faut surtout pas partir perdante en disant qu'on n'a pas fait grand-chose pendant nos années à la maison. Au contraire, on doit faire ressortir les qualités et les compétences acquises.»
Inutile de le nier: un certain recul est souvent inévitable. «Je recommencerai probablement au bas de l'échelle en faisant de la suppléance», constate Christine. Pour mettre plus de chances de notre côté, on garde à jour nos connaissances avec des lectures, des conférences, la participation à des groupes de discussion sur Internet, etc. «Si on ne fait rien, on risque d'accuser un gros décalage quand on tentera un retour au travail», explique Danielle Labre. Selon notre domaine, on devra aussi éventuellement suivre une formation de recyclage. À cet effet, la spécialiste conseille de ne pas attendre à la dernière minute. «Si on prévoit recommencer à travailler l'an prochain, on vérifie dès maintenant si les outils utilisés sont toujours les mêmes, si on doit aller chercher de nouvelles compétences, etc.»
De plus en plus de femmes profitent toutefois de cette parenthèse professionnelle pour repenser leur organisation du travail. Isabelle a laissé tomber un poste en marketing pour se réorienter quand elle a adopté son fils. «Je désirais passer beaucoup de temps avec mon garçon, mais garder tout de même une activité professionnelle. J'ai donc suivi un cours intensif en sommellerie et, depuis, je donne des ateliers-dégustations auprès de particuliers ou d'entreprises.» Avec sa copine Manon Lavoie, elle a fondé le Mouvement Inspiration pour redorer l'image des femmes qui se consacrent à la famille et les inciter à se réaliser dans toutes les sphères de leur vie. «Il n'y a pas que deux modèles possibles: mère au foyer ou au travail. Il faut se servir de ses intérêts pour se réinventer.»
Manon, pour sa part, a démissionné de son emploi de conseillère en communications dans une grande entreprise pour devenir travailleuse autonome. Elle rédige notamment une chronique sur les mères à la maison pour le portail Internet PetitMonde.com. «Ça nous procure un revenu d'appoint tout en me permettant de garder contact avec le milieu.» Audiologiste, son conjoint a réduit son horaire de travail pour passer lui aussi plus de temps avec Antoni, 2 ans, et le deuxième petit garçon que le couple attend ces jours-ci. «Nous vivons vraiment le meilleur des deux mondes!» lance Manon.Le papa à la maison: un spécimen rare
Au Québec, environ 95 % des pères d'enfants de moins de 16 ans occupent un emploi ou en recherchent un. Parmi le 5 % qui reste, une petite proportion d'hommes (on ne sait pas combien au juste) s'occupent de leur marmaille à temps plein.
C'est le cas d'André Miouse, papa d'Olivier, 7 ans, Chloé, 5 ans, Laura, 3 ans et demi, et Charles, 2 ans, qui s'est retrouvé père au foyer à la suite d'un événement imprévu. «Mais ça tombait bien, car ma femme venait de retourner sur le marché du travail après 4 ans à la maison. Je pouvais donc prendre la relève.» Conscient qu'il fait figure d'exception, André n'est pas gêné de son statut. «Les gens trouvent cela bizarre, mais personne ne me juge.»
Quant à Josée Veilleux, la conjointe d'André, elle savoure l'ouverture d'esprit de son homme. «C'est un papa et un amoureux extraordinaire. Il s'occupe à merveille des enfants, il répare leurs vêtements, il prépare le souper chaque soir. Il trouve même le temps de m'offrir des petites attentions.»
Pour des raisons financières, André prévoit retourner sur le marché du travail ce printemps. «Je ne regretterai jamais les 18 mois que j'ai consacrés à mes enfants pendant leur petite enfance. C'est un privilège.»
Où réseauter?
Plusieurs organismes tiennent des rencontres pour les mamans à la maison. Les formules varient: discussion libre ou dirigée, conférences de spécialistes, présence des enfants ou halte-garderie, etc. On s'informe auprès de notre CLSC, de notre Maison de la famille ou d'un centre périnatal. Quelques suggestions: Les Matins mères et monde, à Lorraine; le groupe Maman à la maison de Naissance Renaissance Estrie (819-569-3119). Le Mouvement Inspiration organise des soupers mensuels le jeudi soir à Longueuil afin de guider les mamans à la maison dans l'atteinte de leurs objectifs personnels ou professionnels; infos: (514) 575-2374.