Vie de famille
Souper en famille, plus important qu'on ne pense!
Les soupers en famille sont essentiels. Voici pourquoi...
Dans les années 1950, le souper ne pouvait se dérouler que d'une façon: en famille autour de la table. Aujourd'hui, ce n'est plus aussi simple. Avec les horaires de travail éclatés des parents, les activités parascolaires des enfants et le rythme généralement fébrile de nos vies, il n'est pas toujours facile de trouver un moment où tous les membres de la famille peuvent se retrouver. Pourtant, c'est plus important que jamais.«On réalise que les familles ne se voient plus au quotidien, et c'est très désolant. Les repas deviennent donc les seules occasions de se parler et de se voir», explique Marie Marquis, nutritionniste et professeure au département de nutrition à l'Université de Montréal. Nadia Gagnier, psychologue et animatrice de l'émission Dre Nadia, à Canal Vie, abonde dans le même sens: «Manger est parfois le seul prétexte pour s'arrêter un peu. Tant mieux, car un souper en famille permet de se donner de l'attention et d'assurer ainsi une meilleure hygiène mentale!»
La table et la cuisine construisent la famille. En devenant des repères, les soupers en famille sécurisent les enfants et favorisent leur épanouissement. «Les familles qui soupent ensemble régulièrement ont un sens plus développé de la famille, et on remarque que leur cohésion est plus forte», souligne Marie Breton, diététiste, collaboratrice à Coup de pouce et auteure de plusieurs livres, dont À table en famille!. Des recherches ont montré que les enfants issus de familles qui mangent ensemble profitent d'un soutien parental important et, surtout, plus positif. «Chez ces enfants, on a même observé moins de décrochage scolaire, d'état anxieux, de cas de taxage et même de toxicomanie», précise Marie Marquis.
Pourquoi le fait de manger ensemble est-il si bénéfique? Parce que, autour de la table, tous ont l'occasion de se découvrir. Le souper devient un véritable thermomètre de la vie de famille et une occasion de faire le point sur l'actualité familiale: qui a fait quoi? qui aime quoi? à quoi rêve-t-on? etc. En écoutant les autres membres de la famille raconter leur quotidien, tous en retirent quelque chose. «En entendant leurs parents expliquer comment ils ont résolu un problème au bureau, les enfants apprennent des stratégies de résolution de problèmes», illustre Marie Marquis. Bref, le souper familial est associé à une meilleure communication.Ensemble, c'est santé!
Si l'appétit affectif est rassasié par ces repas partagés, il en va de même côté santé. Marie Breton est catégorique: «Les soupers en famille sont importants autant pour la santé nutritionnelle que pour la santé émotionnelle. Les enfants des familles qui soupent souvent ensemble mangent mieux à la maison, bien sûr, mais à l'extérieur également, a-t-on remarqué. Ils font de meilleurs choix alimentaires et portent plus d'intérêt aux aliments.»
Une étude menée par deux chercheurs de l'université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, constate que les repas en famille détournent les enfants de la télévision, qui, en plus de les exposer à une multitude de publicités, les pousse à manger au-delà de leur appétit réel. Cette recherche a aussi révélé que les enfants qui prennent au moins trois repas en famille par semaine seraient moins à risque de faire de l'embonpoint.
Pour transmettre de bonnes habitudes alimentaires aux petits, nul besoin de les assommer avec des notions nutritionnelles, de mitonner des plats complexes ou de faire la course aux ingrédients exotiques et introuvables! «Les parents sont des modèles pour les enfants. S'ils ont de bonnes habitudes alimentaires, il en sera de même pour les enfants, croit Julie Desgroseillers, nutritionniste. Les comportements acquis pendant l'enfance les suivront toute leur vie.»
Vers huit ou neuf mois, les petits devraient adopter l'horaire familial afin d'apprendre en regardant les autres. «Les enfants apprennent par imitation à manger et à aimer ce que les parents apprécient. Ils tiennent pour acquis que c'est normal et bon de manger ces aliments. Il ne faut pas miser sur le court terme, les grands discours ou le chantage, mais plutôt sur notre exemple et sur une exposition répétée aux nouveaux aliments. «Ce n'est pas important que l'enfant mange ce soir de l'aubergine ou des moules, mais bien qu'il en mange un jour et pour la vie», rappelle Marie Breton.
Le plaisir d'abord
Bien avant la cuisson parfaite du rôti, le secret des soupers réussis est la recherche du plaisir. «Le travail des parents est d'amener tout le monde à la table et de préparer les plats, c'est tout. Ensuite, ils ne devraient se concentrer que sur le plaisir d'être ensemble et non pas sur le contenu de l'assiette des enfants», avance Marie Breton.
Fait troublant, l'Institut de la statistique du Québec a découvert dans le cadre d'une étude que, pour 31% des enfants de 4 ans, les repas ne constituent pas un moment agréable. Interrogés à ce sujet, ils ont répondu que les repas en famille étaient pour eux un moment de tensions et de chicanes. En rendant les soupers agréables par diverses attitudes et en créant un lieu d'échanges sains, on peut espérer un renversement de la situation. «Le repas permet de nourrir les liens familiaux en autant qu'il ressemble davantage à une fête qu'à une routine contraignante», souligne Marie Breton. Aussi, plus les familles prennent tôt l'habitude de se réunir pour manger avec leurs jeunes enfants, «moins elles auront à travailler fort, à l'adolescence, pour les ramener à la table familiale», résume Mario Sirois, psychologue en pratique privée.
Toutefois, le plaisir se mesure bien mal, il se ressent. Ce n'est pas le nombre de soupers qui importe, mais la qualité de ceux-ci sur le plan affectif. «Le plus souvent serait le mieux, mais chacun doit partir d'où il est et, de là, tenter de s'améliorer. Pour des familles qui ne mangent jamais ensemble, se réunir ne serait-ce qu'une fois par semaine est à la fois un défi et un gain», constate Marie Marquis. Manger en famille est d'abord un acte social qui permet de faire une trêve dans l'individualité croissante et les préoccupations de chacun. «Les choses importantes de notre vie sont marquées par un repas. Sans les repas pris ensemble, que resterait-il du lien qui unit la famille?» se questionne Jean-Claude Kaufmann, sociologue et auteur de Casseroles, amour et crises. Les grandes tablées et les soupers marquent les grands événements de notre histoire familiale. La preuve? Il suffit de feuilleter nos albums de photos de famille: tous les grands moments se raccrochent à des repas.
Hélas, même les grands repas de famille élargie seraient moins nombreux qu'avant. «Lors des réunions de famille, on a tendance à préparer une table pour les enfants et une autre pour les adultes, au lieu de faire comme autrefois et de se "tasser" autour de la table avec de la vaisselle dépareillée et une rallonge improvisée», confie Marie Marquis. Pourtant, ces rassemblements permettent de créer un précieux sentiment d'appartenance pour les enfants, en plus de les "grounder" à quelque chose de concret dans un monde en mouvance.» Une autre bonne raison de retrouver le plaisir de souper en famille!12 stratégies pour des soupers en famille réussis
1. On adapte nos horaires.
Le retentissant «À table!» ne résonne pas qu'à 18 h pile. On adapte nos repas en famille selon les disponibilités de chacun. Le lundi à 16 h 45 et le vendredi à 19 h, pourquoi pas? Certaines familles établissent ensemble, le dimanche soir, l'horaire des soupers de la semaine.
2. On planifie les menus à l'avance.
En évitant le stress du fameux «Qu'est-ce qu'on mange?», l'heure du souper sera plus sereine et le repas, prêt plus rapidement, ce qui importe particulièrement quand on a de jeunes affamés.
3. On prévoit des collations, au besoin.
Si on dîne tôt, si les enfants ont faim dès 16 h 30, si la famille ne peut se réunir avant 19 h, il peut être nécessaire de prévoir une bonne collation pour éviter que la famine ne mine l'atmosphère et ne rende le souper de famille impossible.
4. On limite le bruit ambiant.
Le climat n'en deviendre que plus propice à la conversation. On éteint la télé, on reporte l'écoute des infos à 22h. Même chose pour les jeux vidéo et la radio. On limite les conversations téléphoniques. On prend le message et on rappelle plus tard.
5. On choisit des sujets de conversation harmonieux.
La table ne doit pas être un champ de mines. On évite les reproches sur les devoirs non faits, les interrogatoires gênants, la monopolisation de la parole par un seul individu et les sujets lourds ou propices à des discussions houleuses. On préfère les conversations tranquilles et on s'assure que tous puissent s'exprimer librement.
6. On insiste modérément sur les bonnes manières...
On profite du souper en famille pour inculquer aux enfants quelques bonnes manières à table (on ne mange pas avec les doigts, on demande avant sortir de table, on n'interrompt pas, etc.), mais il ne doit pas devenir un cours de bienséance. «Si les règles sont trop strictes, les repas deviennent désagréables. Il faut se demander si tous nos règlements sont vraiment si importants et les remanier au besoin», suggère Nadia Gagnier.
7. ... mais on exige le respect.
«On ne tolère pas de commentaires comme: "C'est pas mangeable!" ou: "Je ne sais pas comment vous faites pour manger ça!" On inculque le respect autant pour les aliments que pour la personne qui a préparé le repas», précise Marie Marquis.
8. On ne s'éternise pas.
Passer du bon temps en famille ne veut pas obligatoirement dire «long souper interminable». Une vingtaine de minutes suffit pour les soirs occupés.
9. On laisse tomber les cours de nutrition.
Au souper, on prend de bonnes habitudes alimentaires, mais pas question d'assommer les enfants avec des notions nutritionnelles.
10. On cuisine ensemble.
Même les tout-petits peuvent accomplir certaines tâches. Avec les ados, pourquoi ne pas créer un repas collectif: chacun prépare la portion du souper de son choix!
11. On profite du moment de la vaisselle.
Laver, essuyer et ranger la vaisselle permet d'aborder des sujets de conversation plus «gênants». Cette tâche moins «les yeux dans les yeux» est davantage propice aux confidences. «Même si le parent est surpris par les propos soulevés, l'enfant ne verra pas son regard, et on discute plus facilement de certains sujets», a remarqué Marie Marquis.
12. De temps en temps, on fait un souper qui sort de l'ordinaire.
On s'invente de nouveaux rituels, on fait des soupers à thème, on change le décor (pique-nique, resto), on se la joue chic (vaisselle des grands jours, serviettes de table et chandelles), bref, on n'hésite pas à sortir de la routine pour faire du souper familial un moment vraiment spécial.
Pour en savoir plus
À table en famille!, par Marie Breton et Isabelle Émond, Flammarion Québec, 2006, 190p., 29,95$.
Casseroles, amour et crises - Ce que cuisiner veut dire, par Jean-Claude Kaufmann, Armand Colin, 2005, 256p., 34,95$.«Pendant des années, en raison de nos horaires de fous, les enfants mangeaient les premiers, et nous mangions vers 19h30. Une fois par semaine, le dimanche soir, nous mangions en famille. C'en était un événement, tellement c'était rare! Maintenant que je suis séparée, les enfants et moi mangeons ensemble presque tous les soirs. On se raconte nos journées, on joue à "ni oui ni non", on rit... Le souper est devenu un des points forts de ma journée. Les enfants y gagnent beaucoup aussi, car c'est le moment où on arrête tout le reste et où on s'écoute vraiment!»
Sonia Cosentino, maman de Frédérique, 10 ans, et de François, 7 ans
«Pour nous, c'est naturel de prendre les soupers en famille! Ayant tous les deux apprécié ce moment privilégié durant notre enfance, nous avions le goût de poursuivre cette tradition avec nos enfants. La chaise haute a vite été remplacée par un siège rehausseur. Pour nous, ça faisait plus "table familiale" ainsi. Les enfants sont encore très jeunes, mais le souper est déjà pour nous un moment d'échange, de plaisirs partagés - Ariane boit son lait dans une petite coupe quand on se prend un verre de vin - et aussi de fous rires avec notre petit bonhomme, qui a déjà trouvé le moyen de faire le clown pour s'intégrer à sa façon aux conversations!»
Yvan Laberge et Solène Bourque, parents de Ariane, 3 ans, et de Thomas, 1 an
«Dans notre vie chargée, les soupers en familles sont des moments de rassemblement pour se donner des nouvelles et prévoir l'horaire familial. Souvent, c'est le seul moment où on est ensemble pour échanger et discuter. On a instauré ce rituel depuis que les enfants sont petits et c'est un temps non négociable. Il est nécessaire à la bonne entente familiale. On y parle de ce qu'on a fait durant la journée et aussi de ce qui s'en vient. Pendant nos soupers, on se connecte les uns aux autres.»
Johanne Provencher et Jean Chapdelaine, parents de Gabriel, 14 ans, d'Alexis, 12 ans, et de Juliane, 10 ans