Vie de famille

Pourquoi attend-on avant de faire des enfants?

Pourquoi attend-on avant de faire des enfants?

  Photographe : Stocksy

De plus en plus de femmes attendent les derniers signaux de leur horloge biologique pour devenir mères. Pourquoi? Et qu’est-ce que ça change?

Pour Teena June, c’est la crise de la quarantaine qui a réveillé le désir d’avoir des enfants. «J’étais en couple, je voulais des enfants. Lui en avait déjà et n’en voulait plus. J’avais enfoui mon désir de maternité profondément en moi. Puis, un jour, je me suis demandé si je n’allais pas le regretter. Comme je n’ai pas été capable de répondre “je n’aurai jamais de regrets”, j’ai rompu. Un vrai coup de dés! Comment savoir si j’allais rencontrer quelqu’un et tomber enceinte au début de la quarantaine? » raconte aujourd’hui celle qui attend son premier enfant à l’âge de 44 ans, après avoir retrouvé l’amour.

Pour Mylen, c’est la vie qui l’a surprise avec cette cinquième grossesse, sept ans après la dernière et vingt après la première. «Le petit dernier a déjoué la contraception et, quand j’ai ressenti les premiers symptômes, j’ai vécu dans le déni. Je me disais que ça devait être le début de ma périménopause.»

Et c’est un concours de circonstances qui a repoussé le projet de fonder une famille pour Sylvie et son conjoint. «On était deux jeunes professionnels, un peu workaholics. Au moment où on a décidé d’avoir un enfant, j’ai fait une crise de polyarthrite rhumatoïde. Une fois la crise terminée, traitée par médicaments, on a repris le projet», raconte Sylvie, qui a eu deux enfants, à 37 et à 40 ans.

Arborer un ventre bien rond à la quarantaine ne fait plus sourciller. En Occident, une tendance se maintient: les femmes ont leurs enfants de plus en plus tard. Teena June, Mylen et Sylvie ne sont plus des exceptions.

Retour en arrière

«Dans les années 1930, il n’était pas rare qu’une femme de 40 ans ait un enfant. Mais c’était généralement son dernier. Aujourd’hui, c’est parfois son premier!» dit Denyse Baillargeon, professeure titulaire au Département d’histoire de l’Université de Montréal et auteure de Brève histoire des femmes au Québec (Boréal, 2012). Aujourd’hui, les mères qui donnent naissance ont en moyenne 30 ans. «On note une légère croissance des grossesses chez les plus de 40 ans et une croissance encore plus forte chez les 30 ans et plus, tandis qu’on observe une nette décroissance chez les moins de 24 ans», explique la sociologue Francine Descarries.

A-t-on l’impression d’avoir encore toute une vie devant soi, à 40 ans? Sans doute davantage qu’en 1935, alors que l’espérance de vie des femmes était de 60 ans. Aujourd’hui, on peut espérer vivre jusqu’à 84 ans!

«De fait, on ne voit plus la possibilité d’être enceinte à 40 ans de la même manière. On vieillit mieux, en meilleure santé, aussi», estime Francine Descarries.

La jeunesse se prolonge, et on veut en profiter, constate de son côté Denyse Baillargeon. «À 25 ans, dans les années 1950, on était mariée, établie, et on avait davantage de responsabilités. Aujourd’hui, à 25 ans, on sort à peine de l’école. On mise sur sa carrière et on ne veut perdre aucune opportunité.»

Il est vrai qu’il y a 60 ans, les couples pouvaient s’établir avec un seul salaire, une perspective plus difficile en 2015. Forcément, ces mouvances créent des changements sociologiques. «Notre société est plus individualiste, et l’enfant est vu comme un obstacle à la réalisation de soi et à l’égalité des chances en matière d’avancement professionnel », avance Lysane Grégoire, directrice générale de Mieux-Naître, à Laval. Avoir un enfant devient un acte plus réfléchi et moins instinctif. «Petit à petit, en s’éloignant de notre nature animale, on laisse moins de place à l’appel de la maternité dans nos sociétés où avoir des enfants est régi par des modes d’emploi, des courants et des techniques.» Malgré tout, le soin des jeunes enfants repose encore principalement sur les mères, remarquet- elle. Raison de plus, pour plusieurs, de repousser le moment de mettre sa carrière entre parenthèses.

L’accessibilité à la contraception a aussi permis aux femmes de choisir le moment où elles souhaitaient avoir un bébé, moment choisi selon des considérations personnelles et économiques: des études plus longues, la précarité d’un emploi, la recherche d’un partenaire, l’envie d’une stabilité financière, le désir de s’épanouir, etc. «J’ai préféré vivre ma jeunesse pour ensuite passer aux choses sérieuses. Naviguant entre différents contrats de travail, c’est seulement quand j’ai eu un plan plus sérieux que j’ai rencontré le futur père de mes enfants. Comme quoi le hasard fait bien les choses!» explique Marie-France qui a eu une fille à 37 ans et fait deux fausses couches avant d’avoir un fils à 41 ans.

Le principal hic: la fertilité

Beaucoup tiennent leur fertilité pour acquise, à tort. Les magazines abondent de vedettes qui sont devenues mères dans la quarantaine — Madonna, Monica Bellucci, Halle Berry, Marcia Cross, Gillian Anderson, et plus près de nous, Céline Dion, Patricia Paquin, pour ne nommer que celles-ci. Pourquoi pas nous?

Il faut tout de même rester conscientes que nous naissons avec un nombre déterminé d’ovules qui baisse au fil des ans. La biologie humaine est ainsi faite. À 25 ans, une femme a 25% de chances de tomber enceinte à chaque cycle. À 40 ans, le pourcentage chute à 6%. Malgré ces faits bien connus, le choc peut être brutal quand on cesse la contraception à la mi-trentaine et que bébé tarde à venir. «Nous avons tenté d’avoir un troisième enfant, mais on nous a expliqué très vite que j’avais de vieux ovaires. La fausse couche est venue à bout de ma patience et on a abandonné l’idée d’agrandir la famille. Ça reste difficile d’accepter que notre corps nous “lâche”. J’ai même pensé adopter tellement je tenais à avoir trois enfants», confie Marie-France.

Quand la nature ne fait pas son oeuvre, il reste la perspective de la clinique de fertilité pour concrétiser notre désir. Mais aucune assurance de réussite! Nul ne sait jusqu’où on devra aller pour tenir enfin un bébé dans nos bras. Sans compter que le fameux tic-tac résonne de plus en plus fort à mesure que les mois s’égrènent. «On ne pense pas qu’on va être privé d’enfants quand on en a voulu toute notre vie. Et quand ça arrive, il y a un énorme deuil à faire. La souffrance est grande, le manque aussi. Un bouleversement s’ensuit. On tente de se refaire une identité comme personne, mais aussi dans notre couple et dans la société», explique Danièle Tremblay, psychologue, spécialiste en fertilité.

À 25 ans, une femme a 25% de chances de tomber enceinte à chaque cycle. À 40 ans, le pourcentage chute à 6%.

Pareil, pas pareil?

Difficile de dresser un portrait type de la quadragénaire enceinte. Première grossesse, deuxième union ou surprise de la vie: chaque route est différente. Isabelle Roy, accompagnante à la naissance, auteure du livre Nos cours prénataux à la maison (Les Éditions de l’Homme, 2014) et formatrice chez Mère et monde, observe que l’âge apporte une certaine maturité chez les femmes qu’elle accompagne. «Plusieurs ont déjà de bonnes habitudes de vie et se documentent beaucoup. Évidemment, cette surinformation peut avoir l’effet contraire et les inquiéter. Elles redoutent la fausse couche et sont plus conscientes de tous les risques. Mais leur maturité émotionnelle les aide énormément et les pousse à faire appel à du soutien durant leur grossesse, à l’accouchement ou même après avec les relevailles.»

L’âge n’est pas pour autant une garantie sur la facilité dont se déroulera l’aventure de la maternité. «Ça dépend surtout de nos attentes, observe Isabelle Dagenais, conférencière et auteure d’Être maman… pour le meilleur et pour le pire (Éditions de Mortagne, 2011). On vit dans une société où tout fonctionne au mérite. Alors, on croit que si on a tout fait pour devenir mère, ensuite, tout ira de soi. Mais la force de notre désir de devenir mère n’offre aucune garantie sur l’après. Ce n’est pas parce qu’on a attendu et qu’on est prêtes que ce ne sera que du bonheur! Devenir mère, peu importe l’âge, est un bouleversement. Rien ne peut vraiment prédire notre réaction. Certaines ont l’impression d’avoir plus de temps à offrir, tandis que d’autres peuvent vivre un deuil de la grande liberté qu’elles avaient avant. Et inutile de chercher à savoir qui on aurait été comme mère, plus jeune, car cela n’a plus aucune importance aujourd’hui.»

Ni meilleures ni pires

Accoucher à plus de 40 ans implique qu’on devra gérer les tumultes de l’adolescence à l’approche de la soixantaine. Pour certaines, l’âge «écorche» un peu. «Nous sommes pratiquement toujours les plus vieux parents lors des rencontres à l’école. Je me demande même si nous pourrions être les grands-parents des amis de mon fils! J’exagère, mais à peine», dit Sylvie. Le coup de grâce pour Marie-France s’est produit dans un magasin: «Quand la vendeuse m’a appelée “grand-mère”, j’ai bien failli faire une crise cardiaque. Elle s’est vite excusée après avoir vu ma tête!» Mieux vaut en rire et centrer son énergie sur les aspects positifs qu’apporte l’expérience de l’âge. «On connaît mieux nos limites et nos capacités. On ne perd pas de temps à essayer quand on sait que quelque chose n’est pas pour nous. Et ce n’est pas plus grave», philosophe Marie-France. Et d’autres petits bonheurs sont désormais possibles. «Financièrement, je peux aujourd’hui davantage investir dans mon confort qu’il y a 20 ans, comme dans des traitements d’ostéo ou de massothérapie, dans l’achat de vêtements plus confortables, etc.», précise Mylen.

Avoir des enfants tard repousse aussi le rêve de la retraite, de voyager et d’avoir des petits-enfants. À 69 ans, Angèle voit ses amies bercer leurs petits-enfants en rêvant au jour où ce sera son tour. Sans regret, mais avec une certaine hâte de vivre ce chapitre. «J’ai eu ma fille à 41 ans et j’en ai profité pleinement. J’étais bien établie, j’avais plus de temps. Sa naissance a été un véritable cadeau. Elle m’a donné un nouvel élan pour amorcer un changement de carrière. Et aujourd’hui, notre relation est tout aussi formidable. On est très complices.» Marie, qui a aussi eu sa fille à 41 ans, évoque aussi ce sentiment d’avoir une relation spéciale avec sa jeune adolescente. «Je trouve que le dialogue est plus facile. Nous communiquons de façon très mature. Ma fille a toujours été entourée de personnes plus âgées, j’imagine que ça déteint.»

«Quand la vendeuse m’a appelée “grand-mère”, j’ai bien failli faire une crise cardiaque. Elle s’est vite excusée après avoir vu ma tête!» Marie-France.

Au présent, tout simplement

«Parfois, je crains de ne pas pouvoir être aussi présente dans la vie de mes éventuels petits-enfants à cause de mon âge», avoue Marie. Marie-France, elle, a fait une croix sur la Liberté 55. «Je ne sais pas jusqu’où ils se rendront dans leurs études, mais il faudra assurer financièrement pour encore un bout de temps.»

Pour rester zen, il faut apprendre à lâcher prise, notamment sur les commentaires des autres. Marie se rappelle: «Certaines de mes amies étaient sur le point de devenir grands-mères lorsque j’étais enceinte. Elles me trouvaient inconsciente. Beaucoup me disaient “courageuse”. Je ne me prive d’absolument rien et je fais vivre à mes enfants plus de choses que si je les avais eus plus jeune.» Teena June ne se formalise pas non plus de l’opinion des autres. «La beauté de la quarantaine est que je m’en fous! C’est ma décision, j’en suis pleinement consciente. Dans ma tête, je ne suis pas vieille, et mon corps ne l’est pas non plus! C’est pour ça que j’ai foncé!»

Pas de temps à perdre avec les doutes, quand bébé arrive, tout va encore plus vite. Le cliché qui dit qu’il faut profiter de cette période est plus vrai que jamais. Et au fond, il nous force à vivre encore plus intensément cette aventure qui ne se conjugue qu’au présent.

À risque, mais pas risqué

Malgré les risques et les statistiques qui peuvent en inquiéter plus d’une, ce n’est pas parce qu’on a soufflé les 35 bougies qu’on devrait se précipiter dans une clinique pour grossesse à risque quand apparaît finalement le «+» sur le test de grossesse. Notre médecin ou notre sage-femme nous enverra, au besoin, chez un spécialiste si un problème ou un symptôme l’inquiète. «Une grossesse à risque veut dire qu’on est davantage à l’affût de l’apparition des problèmes, explique Lucie Morin, gynécologue et spécialiste en médecine foeto-maternelle au CHU Sainte-Justine. On surveille plus, c’est tout.» Avec l’âge ou les grossesses antérieures, certaines femmes peuvent faire de l’hypertension, du diabète ou avoir un surplus de poids. «Mais ces problèmes sont tout de même faciles à gérer si elles suivent bien les conseils de leur spécialiste», précise la Dre Morin.

La principale inquiétude des femmes enceintes de plus de 35 ans reste les maladies génétiques. À titre d’exemple, si, à 20 ans, le risque de porter un enfant atteint de trisomie est de 1 sur 1500, à 40 ans, celui-ci grimpe à 1 sur 100. Cependant, les avancées médicales et les tests de dépistage permettent d’envisager ou non la poursuite de la grossesse. «Si on ne fait que répéter aux femmes qu’elles sont plus à risques, on va simplement amplifier leurs peurs», précise Isabelle Roy, accompagnante à la naissance.

En chiffres

30,5 ans: L’âge moyen des femmes enceintes au Québec, en 2015. Un chiffre en hausse depuis 1983.

En 2015, sur 88 600 nouveau-nés...
21% avaient une mère de + de 35 ans
3,5% avaient une mère de + de 40 ans

Âge moyen à la naissance du premier enfant:
1975: 25 ans
2000: 27 ans
2015: 29 ans

 

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