Vie de famille
Plaidoyer pour la courtoisie citoyenne
Une lectrice, nouvellement maman, nous a écrit récemment. Elle s'insurgeait: la courtoisie fuit-elle les poussettes? Prend-elle les jambes à son cou devant les personnes dans le besoin?
Ce matin, j'ai la rage. Une colère sourde et inutile - dans la mesure où je n'ai personne vers qui me tourner - m'envahit. Je me bute à un problème d'accessibilité qui se veut soit oublié, soit poussé sous le tapis par notre belle société.En toute candeur, j'avoue qu'avant le 11 janvier 2008, jour de la naissance de mon fils, l'accès universel aux bâtiments et lieux publics ne figurait pas sur la liste de mes préoccupations. Mais le jour où je me suis retrouvée dans le métro, au pied d'un escalier in-ter-mi-na-ble avec mon bébé, ma poussette, mon sac et les lancinantes douleurs liées à la césarienne, j'ai pris conscience du problème et de tout ce qui en découle.
Elle a l'air fin la mère libre que je suis. Oh oui, je suis libre, mais libre de rester chez moi! Qu'est-ce qu'on fait lorsqu'on déteste faire ses courses dans les magasins grande surface et que notre conscience écologique nous dicte de laisser la voiture dans la cour? Vous me direz: on fait les boutiques sur Saint-Laurent ou Mont-Royal et on prend le métro. C'est une excellente idée si quelqu'un vous accompagne ou si vous avez la force de Victor Delamarre! Sinon, vous devrez pousser, tirer, vous éreinter et supplier les passants de vous aider devant chaque escalier et chaque porte maudite. Au moment où vous croirez avoir atteint des sommets en matière d'absurdité, vos nerfs menaceront de flancher lorsque le centième passant feindra l'ignorance en déambulant lâchement près de vous. Et si j'avais un handicap m'obligeant à utiliser un fauteuil roulant, je ferais quoi?
L'aide à autrui: pas dans les descriptions de tâches?
Hier, en revenant de la garderie, j'ai demandé l'aide d'un employé du métro afin de franchir la vingtaine de marches qui me séparaient du quai. Non. Sa réponse fut NON! Ce refus ne fait aucun sens commun, mais il s'explique: aider les pauvres gens ne fait pas partie de sa définition de tâches. Donc, si l'employé se blesse, la CSST ne le couvrira pas... La pauvre citoyenne que je suis, celle qui paie ses impôts et ses titres de transport n'a qu'à sécher – ce n'est pas dans leur description de tâches. On ne pourrait pas simplement inclure l'aide aux personnes dans le besoin dans leur contrat de travail? Je ne sais pas, on pourrait aussi engager des scouts, des gens en réhabilitation...
Je n'arrive pas à comprendre. En 1966, en plein essor du féminisme, de l'Expo universelle, et de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, lors de l'ouverture du métro, personne n'a trouvé important que tout le monde puisse y avoir un droit d'accès égal? Bon, il faut tout de même rendre à César ce qui lui appartient: les nouvelles stations de métro Cartier, de la Concorde et Montmorency, qui ont ouvert leurs portes en 2007, sont équipées d'ascenseurs. D'ici 2010, cinq autres stations seront adaptées. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant.L'accès pour tous aux lieux publics: un problème généralisé
Si seulement il n'y avait que le métro. Mais le problème est beaucoup plus grand. Il s'étend à toutes les sphères de la vie quotidienne. Il y a toutes les boutiques avec leurs lourdes portes, les rangées mal configurées et inaccessibles pour les poussettes et les fauteuils, les bureaux des pédiatres au deuxième étage sans ascenseur ni escaliers roulants. Les autobus toujours bondés, et où les soupirs impatients des passagers ne laissent aucun doute quant à l'agacement que notre présence fait naître en eux. Il y a aussi les vendeuses, qui nous regardent bouche ouverte, ne daignant bouger le petit doigt pour nous aider.
En France, depuis 1975, une loi oblige que les lieux publics, y compris les transports en commun, soient adaptés aux personnes à mobilité réduite. Au Québec, hormis la Loi sur le code du bâtiment, il n'y a rien. Mais, avons-nous VRAIMENT besoin d'une loi? Sommes-nous rendus si individualistes qu'il nous faille une législation pour aider et accommoder notre prochain? L'entraide et l'altruisme ne sont-ils pas à la base du civisme et d'une société en santé?
Je suis dégoûtée. En plus de toutes les autres difficultés inhérentes à leur handicap, les personnes à mobilité réduite sont victimes d'une certaine forme de discrimination. Soyons réalistes, l'accès aux lieux publics n'est pas le même pour tous. Quelles valeurs notre société va-t-elle donner en héritage aux adultes de demain? Si on jette un oeil du côté de l'histoire et de la préhistoire, on se rend vite compte qu'il est impossible de survivre et de grandir sans entraide, sans les autres. Il ne s'agit pas seulement d'une question de réfection mais aussi de toute la reconstruction d'un système de valeurs galvaudées. Bien humblement, je crois que pour le bien-être de notre race, pour sa survie et sa perpétuité, on aurait tout intérêt à regarder les gens autour de nous et à les aider à franchir quelques pas… ou encore quelques portes!