Vie de famille
Mon fils est une fille
Photographe : Anne Villeneuve
«C'est un garçon!» ce sont les premiers mots qui ont été utilisés pour décrire mon enfant, le jour de sa naissance. Le médecin ne pouvait pas savoir, mais il avait tout faux. Plus Alexis vieillissait, plus il se dissociait du sexe qui lui avait été attribué. Aujourd’hui, Alexis s’appelle Laurence.
De son enfance, je conserve surtout le souvenir d’un inconfort grandissant, d’un certain mal-être. Même petit, Alexis n’était pas bien dans son corps. Il ne s’aimait pas. Et plus le temps passait, plus je me sentais impuissante devant sa souffrance.
Un jour, en plein souper, Alexis a dit avec aplomb qu’il n’était pas un garçon. Il n’avait que trois ans. Sur le coup, je n’en ai pas fait tout un plat. Des mots d’enfant, je me disais... Mais il n’en démordait pas. Il répétait qu’il était une fille, encore et encore. Aux grand-parents, aux éducatrices de la garderie, aux amis avec qui il jouait, au parc.
Vers six ans, Alexis a choisi un costume de licorne pour passer l’Halloween. Dans les maisons, on le complimentait, on lui disait qu’il était une jolie petite fille. Il rayonnait. Les jours suivants, il a insisté pour porter son costume à l’école, au supermarché, dans les lieux publics. Il voulait être considéré comme une fille à part entière. Il était une fille.
Selon l’organisme Enfants transgenres Canada, le seul indicateur fiable de l’identité de genre d’un enfant est son auto-identification: «La parole de l’enfant doit être prise en compte, explique Annie Pullen Sansfaçon, vice-présidente de l’organisme. Si ce que l’enfant ressent ne correspond pas au concept de sexe qui lui a été attribué à la naissance, c’est son sentiment qui prévaut, toujours.»
Nous avons donc écouté Alexis. Il a laissé pousser ses cheveux. Nous avons refait sa garde-robe. Il a choisi un nouveau nom, que nous avons fait changer légalement par la suite. À la maison, on l’appelle Laurence et on s’adresse à elle au féminin.
La transition n’a pas été facile. Il a fallu discuter, écouter, ouvrir nos esprits, nous laisser le temps d’assimiler cette nouvelle réalité au nom du bonheur de notre enfant. Les premiers temps, ce n’était pas naturel, mais j’ai rapidement senti que Laurence se libérait d'un poids. Elle qui était solitaire et introvertie prenait maintenant sa place, elle se faisait de nouveaux amis, se découvrait des loisirs. Le regard des autres est parfois difficile. Je remarque que les questions touchant l'identité de genre chez les enfants sont encore taboues.
Mais les choses changent. Depuis 2016, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne protège les enfants comme Laurence: «La discrimination fondée sur l’identité ou l’expression de genre est illégale», rappelle Andrée-Ann Frappier, coordonnatrice générale de l’organisme Enfants transgenres Canada. Quand je sens de l’incompréhension autour de notre réalité, je m’inspire de l’attitude de Laurence. Elle ouvre la porte aux questions, elle discute sans filtre de sa démarche avec ceux qui souhaitent en savoir davantage. Sa transparence aide énormément, surtout à l’école.
Nous franchirons bientôt le cap de l’adolescence, avec tous les changements corporels que cela impliquera. Laurence prend un bloqueur d’hormones pour mettre en pause le processus de la puberté. Une thérapie hormonale suivra, si elle le désire, pour la pousse des seins.
On me demande parfois si j’ai eu l’impression de perdre Alexis. Pas du tout. J’avais un enfant malheureux, et j’ai maintenant une enfant en santé, bien dans dans sa tête et dans son corps. Non, je n’ai pas perdu mon petit gars... J’ai vu ma fille éclore. Et je suis incroyablement fière d’elle.