Vie de famille

Les bienfaits de l’ennui chez l'enfant

Les bienfaits de l’ennui chez l'enfant

  Photographe : Getty Images

C’est connu, les enfants ont des horaires aussi chargés que les nôtres. Durant le temps des fêtes, doit-on remplir tous leurs temps libres? Et si les inciter à se tourner les pouces les faisait renouer avec l’imaginaire...

Depuis plusieurs années, le bédéiste et animateur d’émissions jeunesse Tristan Demers donne des ateliers de dessin en milieu scolaire, lesquels lui ont permis de côtoyer des milliers de jeunes. Ces rencontres l’ont amené à faire un constat pour le moins percutant: les enfants ne savent plus inventer. C’est d’ailleurs le sous-titre du livre qu’il a publié au printemps dernier, L’imaginaire en déroute. Dans cet ouvrage, il insiste sur la nécessité de redonner aux enfants les moyens de créer à partir de rien, de jouer librement et sans règles, d’explorer. Afin d’y parvenir, il prône la valeur de l’ennui, véritable moteur de création.

L’art perdu de ne rien faire

C’est de 3 à 6 ans que les enfants travaillent le plus l’imaginaire, explique Solène Bourque, psychoéducatrice et auteure: «À ces âges, 60 % de ceux-ci sont en CPE ou en garderie, où le programme éducatif, nécessairement, est très encadré. Les jeux sont dirigés et l’emploi du temps des enfants, organisé dans ses moindres détails.» Et une fois à la maison, le manège recommence: les fins de semaine sont réglées au quart de tour. Le milieu est encore structuré par des adultes. «Il y a donc peu de place pour la créativité, laquelle émerge quand on ne fait rien», poursuit-elle, en appuyant sur le dernier mot.

De nos jours, l’ennui jouit d’une mauvaise presse, observe pour sa part Jessica Lara-Carrasco, psychologue en pédopsychiatrie de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, à Montréal: «Notre propension à vouloir combler tous les vides, tous les moments où les enfants sont inactifs montre que cette notion est mal perçue. Elle est vue comme contre-productive.»

Aujourd’hui, si on laisse un enfant à lui-même, il y a fort à parier que son premier réflexe sera de tourner en rond, trop habitué qu’il est à être dirigé. Pendant la période des fêtes, les deux spécialistes s’accordent sur l’importance de prévoir quelques «temps d’arrêt» au calendrier. Bien entendu, avoir des activités au programme est également une bonne chose.

Ouvrir la porte de l’imaginaire

«Je dis souvent à mes enfants: aujourd’hui, on s’ennuie! Le jeu, c’est de s’ennuyer. Ils tourbillonnent pendant une vingtaine de minutes, sans savoir que faire de leurs 10 doigts», relate Solène Bourque. À un moment donné, il se produit un phénomène quasi magique: les enfants se mettent à s’amuser avec des riens, à s’inventer tout un monde.

En tant que parent, notre seuil de tolérance à l’improductivité est faible, estime Jessica Lara-Carrasco. Or, une fois celui-ci dépassé, on s’aperçoit que les enfants redeviennent actifs par eux-mêmes. Le meilleur exemple? Le camping. Sans télé ni tablette, les enfants rouspètent un peu, puis tout à coup on les surprend à se faire un chemin avec des bouts de branches ou des formes avec des roches. De l’ennui naît une foule de prétextes à l’aventure.

Donner à l’enfant les conditions nécessaires à l’épanouissement de son imaginaire, c’est aussi donner des outils solides à l’adulte qu’il deviendra, croit la psychologue: «En jouant à faire “comme si”, on apprend à être en relation avec les autres. On travaille aussi l’abstraction – la capacité, notamment, de se projeter dans d’autres situations –, de même que l’empathie, la faculté de se mettre à la place de l’autre.» Ces qualités qui s’acquièrent (entre autres) dans un monde fictif donnent l’occasion aux enfants, selon la formule de Marie Eykel, dans la préface de l’essai de Tristan Demers, de «s’exercer pour quand ce sera réel.»

Dans la boîte à idées

Pour ce faire, il faut toutefois que le parent accepte de voir ses enfants s’ennuyer et qu’il résiste à ce sentiment trouble-fête: la culpabilité. Il n’y a pas de mal non plus à vouloir rester près d’eux, rassure Solène Bourque. L’idée, dans ce cas, est de les orienter dans leur jeu, sans rien leur imposer: «On peut proposer aux enfants de mettre des suggestions dans un chapeau – bâtir une maison en couvertures, dessiner et ainsi de suite. Comme ça, s’ils cherchent encore quoi faire au bout de quelques minutes, on les invite à venir piger dans leur récipient à idées!» explique-t-elle.

Ou encore, on leur donne un thème («Ok, on fait de l’art!») et après, on les laisse dessiner, peinturer, découper, bref, faire ce dont ils ont envie sans aucune obligation de représenter quoi que ce soit de particulier. «Ils font vraiment ce qu’ils veulent, insiste la psychoéducatrice. C’est valorisant pour l’enfant quand il est arrivé à créer quelque chose par lui-même, à trouver une idée et à l’exprimer à sa façon.»

Dans son livre, Tristan Demers se montre optimiste. Il demeure convaincu que les enfants possèdent tous, au fond d'eux-mêmes, ce «pouvoir créatif», cette machine à inventer qui n’attend qu’à être mise en marche. Et, toujours selon lui, ce n’est pas simplement une question de talent. Ou encore de moyens financiers («L’univers que l’on s’invente ne coûte rien», écrit-il). C’est une affaire, avant tout, de laisser aller.

«Les consignes à observer sont déjà très nombreuses dans l’éducation d’un enfant, conclut Solène Bourque. Il y a le dodo, les repas, etc. Alors dans les moments de jeu, il faut lui donner le plus de liberté possible.» 

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