Vie de famille
Le mommy brain: C'est vrai ou pas?
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Manque de concentration, d’attention, de mémoire... Certaines femmes, lorsqu’elles sont enceintes ou viennent d’accoucher, rapportent avoir le cerveau dans le jello.
C’est ce qu’on appelle le mommy brain (ou «momnesia»). La science a montré que ce phénomène existe réellement... et pas que chez les femmes!
Enseignante de français au secondaire à Montréal, Jessica a trois garçons de 5 ans, 3 ans, et un nouveau-né de 16 jours. À sa première sortie avec tout son clan – un déjeuner au restaurant en famille –, elle est prise d’un vertige: elle vient de se souvenir qu’elle a laissé le four allumé à la maison.
«Comme je n’étais pas loin, j’ai sauté dans ma voiture et je suis allée l’éteindre», raconte-t-elle en précisant qu’il n’y a eu aucune conséquence grave à son oubli. Il y a aussi cette fois où elle a préparé une pizza sans mettre de fromage. Pas de quoi appeler sa mère, mais quand même... «Je ne fais jamais ça normalement, dit la femme de 34 ans avec aplomb. Mais là, je suis obligée d’admettre que j’ai un mommy brain!»
Le mommy brain, que l’on pourrait traduire par «cerveau de maman», reflète un état durant lequel une femme a l’impression, alors qu’elle est enceinte ou peu de temps après l’accouchement, que son cerveau tourne au ralenti, ce qui lui cause des ennuis au quotidien. «Je ne croyais pas à ça avant d’avoir des enfants!» lance Jessica.
Oui, allô?!
Pitonner sur sa calculatrice en pensant que c’est son téléphone, puis confondre ledit téléphone avec la télécommande de la télévision... Annie, une comptable de Laval, mère d’un bébé de trois mois, préfère en rire: «Oui, j’ai vraiment fait ça, dit-elle en riant. Pas longtemps, mais je l’ai fait!»
Elle ajoute qu’elle a aussi eu des trous de mémoire au moment de parler de choses banales: oublier comment dire «calendrier» et parler d’une «grille avec des dates», vouloir décrire un «brownie» et manquer de précision en disant «une sorte de gâteau au chocolat».
Cela fait sourire... mais parfois, quand le manque de concentration, d’attention et de mémoire se prolonge ou que les errements s’accumulent, certaines femmes s’inquiètent, éprouvent même de l’angoisse. Cet état est-il réel? Sera-t-il permanent?
Selon la Dre Tuong-Vi Nguyen, psychiatre et chercheuse spécialisée en reproduction et en périnatalité au Centre universitaire de santé McGill, il est évident que le mommy brain existe... et qu’il est momentané. «Ça ne veut pas dire qu’une femme enceinte ou qui vient d’avoir un bébé n’est pas capable de faire ses tâches ou de prendre ses responsabilités, ni même qu’elle est moins apte à le faire», souligne-t-elle d’entrée de jeu.
Encore les hormones
Il y a une explication scientifique au ressenti des futures ou nouvelles mères, dit la spécialiste: la fluctuation des hormones. «Lors du premier trimestre de la grossesse, le taux de progestérone augmente. Certaines femmes, plus sensibles aux hormones, verront leur humeur ou leurs fonctions exécutives être affectées», explique la Dre Nguyen.
Ces fonctions englobent la mémoire et la capacité d’attention, de concentration, de planification et de prise de décisions. «Ce n’est pas un changement draconien, et seule une minorité de mères est atteinte, précise celle qui est aussi aide-professeure au Département de psychiatrie de l’Université McGill. Mais c’est tout aussi réel que de se sentir triste ou anxieuse. Les effets peuvent se manifester sur le plan émotionnel, cognitif ou même physique.»
Au fur et à mesure que la grossesse avance, les taux hormonaux changent: au troisième trimestre, c’est l’œstrogène qui est en hausse. «Certaines femmes deviennent stressées, anxieuses. Tout ça est lié au fait qu’elles se préparent psychologiquement à donner naissance et à accueillir le bébé, dit la Dre Tuong-Vi Nguyen. Le manque de concentration et l’irritabilité ne sont pas rares en fin de grossesse.»
Les montagnes russes hormonales se poursuivent dans la période périnatale, soit le moment qui précède et suit la naissance: la prolactine, responsable de la montée laiteuse, entre en jeu au moment même où toutes les autres hormones reviennent à leur niveau «normal». «En deux semaines, les changements sont énormes, indique la psychiatre, elle-même maman. Tout se rééquilibre. Pour certaines nouvelles mères, c’est une période difficile, qui va du blues à la dépression post-partum.»
On estime qu’après l’accouchement, de 70 à 80 % des nouvelles mères ressentent des symptômes dépressifs à divers degrés et, de ce nombre, 20 % font une dépression, note la Dre Nguyen. «Globalement, on peut dire que 1 femme sur 5 va avoir un problème de santé mentale dans la période périnatale.» Elle croit par ailleurs que ce chiffre augmente en temps de pandémie. Aucune étude ne le confirme officiellement encore, mais plusieurs se penchent sur le phénomène actuellement.
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Le manque de sommeil
Le mommy brain a été étudié partout dans le monde. Déjà, en 1956, le pédiatre et psychanalyste britannique Donald Winnicott reconnaissait une «préoccupation maternelle primaire» qui pouvait expliquer cette impression de «brouillard» et de lenteur ressentie par les futures ou nouvelles mères. En fait, 4 femmes sur 5 rapporteraient des symptômes d’oublis et d’inattention, selon une étude scientifique réalisée en Australie, en 2018. Une autre recherche, menée aux États-Unis en 2014, stipule que 18 semaines après avoir accouché, la moitié des mères ont souvent sommeil, sont somnolentes (traduction du terme utilisé dans l’étude: super sleepy).
«Il ne faut pas sous-évaluer le manque de sommeil, et tout ce qu’il peut causer», nous confie Annie, 35 ans, maman de Théo. Certes, chaque parent a son seuil de tolérance au manque de sommeil et à la douleur qu’il occasionne... mais il n’en demeure pas moins que du jour au lendemain, les nuits ininterrompues n’existent plus. La privation s’installe. Et elle s’accumule. «On ne meurt pas d’un manque de sommeil... mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas frustrant, voire angoissant par moments», laisse tomber Annie.
Cela finit par passer... comme toutes les étapes de la parentalité! Elles sont d’ailleurs vécues par les pères autant que par les mères. «Il existe un daddy brain, déclare la Dre Tuong-Vi Nguyen. On sait que dans les 16 premières semaines de vie du bébé, le cerveau des hommes change. Certaines zones du cerveau, associées à l’empathie et à la perspective de l’autre, se transforment, et la testostérone, l’hormone responsable de l’envie de domination et de compétition, chute.»
Moment d’adaptation
Selon la psychiatre, il faut cesser de penser que les changements hormonaux responsables de certains comportements sont mauvais. «Les mommy brain et daddy brain s’expliquent surtout par les efforts que le cerveau fait pour s’adapter à une nouvelle réalité, dit-elle. Notre attention doit se diviser pour qu’on puisse veiller et prendre soin de notre bébé. Et il y a toute la question de l’attachement, aussi, liée à la hausse des hormones de la prolactine et l’ocytocine.»
Embrasser le moment présent et voir le bon côté des choses... C’est un peu ce que Jessica et Annie ont choisi de faire. «Je préfère en rire», avoue la première. «Je partage ma charge mentale avec mon conjoint, conclut la deuxième, et je nous fais confiance! Un jour à la fois, on va y arriver.»
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