Vie de famille

L'illusion de la maman parfaite: J’like pas

L'illusion de la maman parfaite: J’like pas

  Photographe : Marie-Eve Tremblay | Colagene.com

Deux jeunes enfants. Deux boulots prenants. Une séparation. J’étais aussi pimpante qu’une feuille de laitue oubliée dans le fond du tiroir à légumes. Le soir, j’avais tout juste la force de soulever mon fil de soie dentaire. Il m’arrivait donc souvent d’échouer sur les réseaux sociaux, par simple automatisme.

C’est pendant cette période ingrate que j’ai découvert le dernier modèle parental en vogue: les mamans heureuses. Elles étaient partout, brandissant leurs sourires radieux, leurs fringues stylées et leur progéniture étincelante.

Le mouvement s’organisait autour de hashtags précis: #happymama, #happybaby, #happyfamily. Des mots-clics diaboliques, assortis de photos qui avaient de quoi plomber le moral le plus solide... 

Des bambins qui sillonnaient le monde sans broncher, alors que mes héritiers frisaient le coma si je décalais un peu leur quatrième collation du matin. Des parents fusionnels qui se désolaient de voir lundi arriver, alors que j’arrivais au bureau en sifflotant comme un vacancier au Club Med.

C’était la tyrannie du paraître, la surenchère du gâteau d’anniversaire, la course aux meilleures vacances en famille.

Car la maman heureuse ne peut s’en empêcher: elle documente et partage avec les internautes chaque détail de son existence, en clamant de façon un peu louche que tous ces instants la remplissent de béatitude. L’injection était claire: la maternité, c’est le bonheur. Sauf que moi, préparer les lunchs et changer les draps ne me procuraient pas de joie particulière. Même que certains jours difficiles, je rêvais de me sauver avec mon baluchon. Je n’avais donc rien compris?

J’avais besoin de renfort, et vite. Je me suis virtuellement tournée vers une sous-catégorie de mères heureuses : les gourous et autres coachs de vie. Après tout, elles savaient de quoi elle parlait. La plupart avait en poche un diplôme du bon parent averti (durement acquis après un week-end de formation au centre des loisirs de la Ville).

Moi qui pensais avoir atteint le fond... je me suis plutôt découvert un troisième sous-sol! Dans l’art de la destruction mentale, ces mamans étaient redoutables. Malgré leur noble mission, soit aider leurs consœurs à atteindre le nirvana entre deux brassées de blanc, elles nous assommaient à grands coups de bricolages en 291 étapes faciles. Elles voulaient rire? J’en suis venue à me sentir incompétente de ramer aussi fort pour offrir aussi peu...

Nadia Gagnier, docteure en psychologie, en est convaincue: la pression parentale n’a jamais été si forte. «D’un côté, il y a une quantité phénoménale d’informations sur l’éducation des enfants. De l’autre, il y a les réseaux sociaux dans lesquels tous se montrent sous leur meilleur jour. Deux fois plus de pression! Être parent est pourtant le rôle le plus humain qui soit. Et même si l'on pouvait l’atteindre, la perfection parentale serait malsaine. L’enfant est en apprentissage: il a besoin d’un modèle qui lui montre comment réagir en cas d’erreur.»

Rationnellement, je savais que ces clichés étaient des fragments (sublimés) d’une réalité pas toujours rose, mais les #happymama m’affectaient plus que je ne voulais l’admettre.

«Dans les réseaux sociaux, on consulte les meilleurs moments de la vie des autres, alors qu’on est nous-mêmes en plein temps mort. Les réseaux nous renvoient donc une image négative de nous-mêmes. Et comme la parentalité est la sphère qui crée le plus d’insécurité, on cherche encore plus la validation... »

Touché. Le point commun des parents, c’est bien le besoin de recevoir, de temps à autre, cette petite tape dans le dos qui confirme qu’on est sur la bonne voie. Même les mères heureuses y carburent sous forme d’une pluie d’approbations virtuelles.

J’ai changé mon regard sur les #happymama. Je ne les envie plus, mais j’ignore leurs statuts et photos magnifiés. Je prends plutôt le pari de l’authenticité et de l’autodérision pour huiler les rouages compliqués de la parentalité. Au lieu d’utiliser un temps mort pour faire le bilan de la vie des autres sur les réseaux sociaux, j’en profite pour trouver les points positifs et négatifs de ma journée (merci du conseil, Nadia!)

Je ne suis ni une maman parfaite ni une maman inconditionnellement heureuse. Je suis juste une maman ordinaire qui fait de son mieux. Et c’est amplement suffisant.

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