Vie de famille
L'éveil sexuel des enfants
L'éveil sexuel des enfants
Photographe : Anne Villeneuve
Je montais à l’étage avec le panier à linge dans les bras et là, j’ai figé. La chambre de ma fille de cinq ans se trouve juste en haut des escaliers. La porte était ouverte. Elle était couchée sur le dos, toute nue. Son frère de six ans, par-dessus elle, avait aussi enlevé ses vêtements.
Mon premier réflexe a été d’aller voir mon conjoint et de lui annoncer: «Chéri, je pense qu’on doit parler aux enfants.» Mais, honnêtement, on ne savait pas vraiment quoi leur dire. Un peu gauchement, on leur a demandé ce qu’ils faisaient. «C’est Zoé qui voulait se mettre toute nue!» a lâché mon garçon, l’air un peu coupable. Mon grand savait, sans doute inconsciemment, que ce qu’il faisait avec sa soeur avait un petit air d’interdit. La situation s’est finalement conclue avec une banalité du genre, «ça ne se fait pas, mes amours. Ne le refaites plus, d’accord?»
Selon Mélanie Guérard, sexologue à la Clinique multidisciplinaire pour le développement de l’enfant, on aurait pu leur demander à quoi ils jouaient, comme s’il s’agissait d’un jeu comme un autre. On montre ainsi un signe d’ouverture aux questions présentes et futures de ces petits aventuriers. On leur explique que certaines choses se font, d’autres pas.
«L’important est de se rappeler qu’en tant que parent, on interprète souvent les comportements de nos enfants avec nos références d’adulte», note la sexologue. Ainsi, ce que je pouvais percevoir comme une tentative de faire l’amour était plutôt un jeu d’imitation ingénu de ce qu’ils avaient pu voir, entendre ou interpréter. Un jeu de découverte aussi, motivé par une curiosité sans bornes.
«Les parents sont souvent surpris de constater à quel point l’éveil de la sexualité chez leur enfant arrive tôt, mentionne la spécialiste. Ça en déstabilise plusieurs. » Parfois, on ne peut éviter de se demander: mon enfant est-il normal? C’est sans doute pour répondre à cette appréhension que l’American Academy of Pediatrics a établi un tableau des comportements dits normaux et de ceux qui le sont moins chez les toutpetits. Se toucher, se masturber, montrer ses parties génitales, les frotter contre un parent, un frère ou une soeur, regarder le sexe des parents ou vouloir le toucher... Tout cela est N.O.R.M.A.L. «Leur curiosité est tout à fait naturelle et saine, affirme Mélanie Guérard. On peut bien sûr intervenir et dire, par exemple, que notre pénis ou notre vagin nous appartient à nous tout seul. Que c’est privé et intime, que personne d’autre n’a le droit de nous toucher... Que les autres doivent nous respecter, et vice versa.»
Habituellement, cette curiosité sexuelle tend toutefois à se faire plus discrète au moment où la pudeur se pointe, soit aux alentours de six ans. Comment le sait-on? L’enfant ne voudra plus se déshabiller devant les autres, ne voudra plus prendre sa douche avec nous... J’ai bien vu que vers cinq ans et demi, mon garçon m’observait différemment: un peu gêné, il me regardait toutefois avec plus d’insistance. Il avait un peu perdu de son innocence. À partir de ce moment, je me suis faite un peu plus discrète, et j’ai encouragé mon fils à prendre sa douche seul, comme un grand.
Isabelle bergeron est maman de deux enfants de cinq et six ans.