Vie de famille

Faut-il (toujours) dire la vérité aux enfants?

Faut-il (toujours) dire la vérité aux enfants?

  Photographe : Shutterstock

Si les valeurs d’honnêteté et de franchise guident notre vie d’adulte, il n’est pas aisé, comme parent, de toujours dire la vérité à son enfant. Comment faire preuve de transparence tout en respectant son niveau de maturité?

Quand son grand-père est mort dans de tristes circonstances, lors de la première vague pandémique au printemps 2020, Myriam, cinq ans, a posé de nombreuses questions à sa mère, Kheira.

Plongée dans un deuil difficile, celle-ci a été prise de court: elle ne savait pas comment expliquer la mort précipitée de l’homme. «La manière dont il avait vécu ses derniers moments m’avait mise en colère. J’étais triste aussi et, en même temps, rongée par la culpabilité», raconte Kheira, une Montréalaise de 44 ans.

Sur le coup, elle a dit à sa fille que grand-papa était «parti au ciel» et qu’il les regardait «d’en haut». Ce qui, aux yeux de Myriam, n’avait pas beaucoup de sens! «Ça m’a pris une semaine avant de tracer la ligne entre ce que je voulais dire et ne pas dire, nous confie Kheira. Choisir les bons mots pour l’informer correctement sans la traumatiser ni l’angoisser n’était pas facile.»

Selon Marc Pistorio, psychologue, médiateur et auteur, si un enfant pose des questions, peu importe le sujet, il est légitime d’y répondre. «La réponse doit être adaptée à son stade de développement, à sa personnalité et à sa sensibilité, explique-t-il. L’enfant a le droit d’accéder à la vérité concernant l’aspect qui l’intrigue; c’est à l’adulte de s’ajuster.»

Il cite en exemple un enfant, très jeune, qui serait curieux d’entendre parler de la mort. «Il faut y aller selon sa capacité de raisonnement, indique Marc Pistorio. Si l’enfant est très jeune, on ne va pas entrer dans un long discours! On ne se perdra pas dans les infos, les idées et les mots.»

 

Maintenir un lien de confiance

En refusant de répondre honnêtement, le parent pourrait créer de l’angoisse chez l’enfant ou encore le pousser à aller trouver des réponses ailleurs – et c’est presque assurément ce qu’il fera! Le risque de fragiliser la relation est bien réel: l’enfant, découvrant que son parent lui cache des choses importantes, pourrait lui faire moins confiance à l’avenir. «Oui, la vérité est importante, dit Martine Savaria, coach familiale. On ne peut pas la nier quand elle nous est demandée. Mais il faut savoir où s’arrêter et la révéler avec respect.»

Un bon truc, selon elle: laisser l’enfant être le leader de la conversation. «On répond à ses questions, on lui demande s’il en a d’autres, note-t-elle. Et on se questionne pour déterminer si tel ou tel détail est nécessaire. On évite les jugements. On y va plutôt avec les faits.»

Pas toujours facile quand il s’agit de sujets aussi délicats que la mort, la naissance, le déménagement, l’adoption, la séparation... Stéphane en sait quelque chose: il a provoqué une crise de larmes chez son fils de huit ans en lui annonçant la mort d’un chaton qui venait d’entrer dans la vie de la famille. «J’ai manqué de tact, reconnaît-il, j’étais désemparé, j’avais beaucoup de peine et pas assez de recul, je crois.»

Voilà bien le point commun entre l’histoire de Kheira et celle de Stéphane: il vaut toujours mieux laisser passer un peu de temps pour nous permettre d’avoir une vue d’ensemble. Et se détacher. «Plus nous sommes détachés et que nous réussissons à laisser nos émotions de côté, plus ce sera facile d’en parler, croit Martine Savaria, mère de trois garçons de 17, 15 et 12 ans. C’est plus facile d’expliquer clairement une situation quand on n’est pas pris émotivement. Il y a alors moins de jugements et moins de critiques.»

 

vérité enfant

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Mettre ses limites

Et si, peu importe le temps passé, on hésite à dire la vérité, peut-être est-ce parce qu’elle est inavouable... ou trop lourde, trop affreuse, trop choquante. «Si c’est dramatique, il ne faut pas trop en dire, pour ne pas passer notre propre anxiété à notre enfant, précise Marc Pistorio. C’est tout à fait possible de poser des limites et de dire à notre enfant qu’on pense qu’il a suffisamment d’informations. Ensuite, on regarde comment ce qu’on a dit a été absorbé et l’état dans lequel est notre enfant.» 

Kheira se souvient d’avoir discuté avec son conjoint du fait qu’elle s’épanchait trop avec ses enfants. «Ma fille n’est pas ma thérapeute ni même ma confidente, glisse-t-elle doucement. La mort de mon père m’a appris à mieux définir ça. C’est moi, l’adulte! C’est à moi de gérer mes émotions. Est-ce que je suis parfaite? Non. Mais je travaille fort pour autoréguler mes émotions.»

L’introspection et l’autocritique sont les bienvenues – tout comme changer d’idée, avance M. Pistorio. «Comme parent, on ne veut pas mentir. Et on ne veut pas non plus imposer notre vision des choses. Il ne faut pas oublier qu’on a le droit de se tromper. Dans ce cas, avec indulgence et bienveillance, on peut présenter des excuses et donner de nouvelles explications à notre enfant.»

 

Le bon moment

Un autre point à considérer quand vient le temps de révéler quelque chose d’important à notre enfant est le choix du «bon moment», celui qui fera que l’échange sera fluide, aisé. L’enfant est fatigué? Il risque de ne pas être à l’écoute. Il vient de vivre un moment désagréable? Il pourrait être irritable. Il est dans une période de transition? Peut-être est-il stressé, tendu. Même chose pour nous-même, cela dit... «Si on est fébrile et qu’on a une grande nouvelle à annoncer, par exemple, on choisit un bon moment, on se prépare et on s’assure d’être assez fort émotivement», souligne Mme Savaria.

Tout cela interpelle Geneviève, 37 ans, technicienne en comptabilité, mère d’une adolescente et d’une préadolescente. Elle a dû leur apprendre, juste avant Noël, qu’elle avait perdu son emploi... «Mais ce n’était pas juste ça, nous révèle-t-elle. J’avais fait une gaffe. Majeure. Et qui avait mené à mon congédiement. J’avais du mal à me contenir en leur décrivant la situation. Je me suis mise à pleurer sans pouvoir m’arrêter. Mes filles ont été très douces, très compréhensives, mais moi, après coup, je n’étais pas fière. J’aurais préféré mieux gérer ça. En rétrospective, je me dis que j’aurais dû attendre. Dire toute la vérité, oui, mais pas tout de suite.»

Une chose est certaine, le fait de dire la vérité, du moins en partie et même maladroitement, a soulagé Geneviève, tout comme Kheira et Stéphane. Écouter sa petite voix intérieure est un réflexe qu’on oublie trop souvent, une fois devenu parent... «On peut se demander: “Comment est-ce que je me sens à l’idée de révéler la vérité, en tout ou en partie? Et, en contrepartie, comment est-ce que je me sens à l’idée de taire la vérité?” Cela devrait nous aider à trancher», affirme Mme Savaria.

Pour Stéphane, qui a adopté un nouveau chaton quelques mois après la «tragédie», dire la vérité est aussi une façon de donner l’exemple. «Je peux dire ce que je veux à mes enfants, mais j’essaie de garder en tête qu’ils me regardent et m’observent. Mes actions comptent plus que mes paroles, révèle le Lavallois de 50 ans. Je me trompe? Je le leur dis. J’ai commis une erreur? Je leur présente des excuses. J’essaie de leur montrer que personne n’est infaillible, que personne n’est parfait. Ils me voient en ce moment comme leur héros, mais je ne suis pas un superhéros.» 

 

 

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