Vie de famille

Faire témoigner un enfant victime d’agression sexuelle

Faire témoigner un enfant victime d’agression sexuelle

iStockphoto Photographe : iStockphoto Auteur : Coup de Pouce

Faire témoigner une victime d’agression sexuelle n’est pas chose facile, surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant en bas âge. Mais il est possible d’obtenir des témoignages de qualité grâce à des questions ouvertes et ainsi prévenir la détresse psychologique liée au silence.

Il est difficile pour les enquêteurs et les travailleurs sociaux de recueillir le témoignage des victimes d'agression sexuelle et d'en assurer la véracité. En particulier lorsqu'ils se retrouvent devant des enfants en bas âge. Ceux-ci sont souvent influençables, ce qui fait en sorte que le type de questions détermine souvent le type de réponses.

Des questions trop directives, longues ou complexes risquent d'orienter le récit et de le rendre moins fiable. Au contraire, des questions ouvertes et basées sur la «mémoire de rappel» amènent plus de détails et des réponses plus crédibles. C'est ce que révèle une étude de Mireille Cyr, professeure au département de psychologie de l'Université de Montréal, et Michael Lamb, de l'Université de Cambridge, au Royaume-Uni.

Les chercheurs ont testé l'intérêt d'une version française du protocole du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD), aux États-Unis, protocole basé sur l'utilisation de questions ouvertes du type «Raconte-moi ce qui s'est passé» pour interroger les enfants présumés victimes d'agression sexuelle. Cette méthode privilégie aussi l'élimination des questions à choix multiples, qui incitent l'enfant à chercher la réponse susceptible de satisfaire l'adulte qui l'interroge. Des policiers et des travailleurs sociaux québécois ont mené 83 entretiens de ce type auprès d'enfants âgés de 3 à 13 ans. Les résultats ont été comparés à ceux de 83 entretiens réalisés avant que les intervieweurs soient formés au protocole NICHD.

Moins de questions et plus de fiabilité

Mireille Cyr constate d'importantes différences quant au genre de questions posées et aux détails obtenus entre les enquêteurs selon qu'ils utilisaient ou non le protocole du NICHD.

Les enquêteurs qui ont suivi la formation ont posé 39 % de questions ouvertes et 24 % de questions directives, comparativement à 7 % et 36 % pour ceux ne l'ayant pas reçue. Quant à la proportion de questions à choix multiples, elle est passée de 30 % à 18 % après la formation.

L'utilisation du protocole a surtout permis de recueillir davantage de détails reliés aux faits. Avec les entrevues de type NICHD, les enquêteurs en ont récolté 30 % de plus, et 65 % de ces éléments ont été recueillis au moyen de questions ouvertes. En comparaison, 16 % des détails étaient obtenus de cette façon dans les entrevues traditionnelles. Le taux d'information moins fiable recueillie par des questions directives, suggestives ou à choix multiples passe de 75 % à 30 % avec le protocole du NICHD.

Les données indiquent aussi que les enfants plus âgés (de 8 à 13 ans) sont ceux qui bénéficient le plus des questions ouvertes du protocole. Ils donnent des réponses plus riches et détaillées que celles fournies à ce type de questions dans les autres entretiens.

Comme l'enfant livre davantage de détails, l'utilisation de questions ouvertes permet de réduire le nombre de questions posées par l'enquêteur de près de 25 %, selon l'étude, ce qui écourte l'entrevue et pourrait diminuer l'anxiété que l'enfant peut ressentir par rapport au processus.

Établir la confiance

La recherche de Mireille Cyr montre que pour arriver aux meilleurs résultats possibles, l'intervenant doit placer l'enfant en situation de confiance. Il sollicitera ensuite sa mémoire de rappel en lui demandant de décrire une chose qu'il a faite récemment. En vertu du protocole, l'enquêteur exposera ensuite clairement à l'enfant les règles de l'entrevue, à savoir qu'il est préférable de dire qu'il ne sait pas ou qu'il ne comprend pas plutôt que d'inventer une réponse susceptible de plaire. L'intervieweur doit aussi lui faire comprendre qu'il peut intervenir s'il se trompe en rapportant les faits.

Le silence entraîne des séquelles

L'importance de faire témoigner les victimes d'agression sexuelle est confirmée par une autre étude à laquelle a participé Mireille Cyr et qui révèle que le taux de détresse psychologique est beaucoup moins élevé chez les victimes qui dénoncent rapidement l'agression.

Le taux de détresse psychologique des victimes qui consultent un clinicien est de 7 % chez celles qui ont dénoncé l'agression rapidement et de 26 % chez celles qui ne l'ont pas fait, selon l'étude réalisée auprès de quelque 800 adultes québécois des deux sexes. Seulement 20 % des femmes et 10 % des hommes signalent les événements dans les 24 heures.

Près de 25 % des personnes victimes d'agression sexuelle dans l'enfance ne révèlent jamais les sévices qu'elles ont subis (16 % chez les femmes et 34 % chez les hommes). Parmi celles qui osent révéler ces sévices, 50 % attendent plus de cinq ans pour le faire, ce qui entraîne des séquelles plus importantes.

Les sévices sexuels dont il est question vont des attouchements non désirés jusqu'au viol. Parmi les répondants, 22 % des femmes et près de 10 % des hommes disent avoir été victimes dans l'enfance.

La détresse psychologique comprend les troubles anxieux, la dépression, les problèmes de concentration et l'irritabilité. Certaines victimes vivent un stress post-traumatique, éprouvent un affaiblissement des désirs affectifs, revivent psychologiquement l'agression ou se trouvent dans un état d'hypervigilance.

Plus difficile de dénoncer un parent

Les résultats de l'étude semblent démontrer qu'il est plus facile de dénoncer une agression sexuelle lorsqu'elle est commise par un inconnu. En effet, les personnes qui tardent à parler ont plus souvent été victimes de sévices de la part d'un membre de la famille ou d'un proche.

Les agressions graves comme le viol sont commises par des personnes connues dans 85 % des cas quand la victime est une femme et dans 89 % des cas lorsqu'il s'agit d'un homme.

Références

Cyr, M., & Lamb, M.E. (2009). Assessing the effectiveness of the NICHD investigative interview Protocol when interviewing French-speaking alleged victims of child sexual abuse in Quebec. Child Abuse & Neglect, 33(5), 257-268.

 

Lamb, M.E., Hershkowitz, I., Orbach, Y., & Esplin, P.W. (2008). Tell me what happened: Structured investigative interviews of child victims and witnesses. Chichester: John Wiley & Sons.

 

Cyr, M., & Dion, J. (2006). Quand des guides d'entrevue servent à protéger la mémoire des enfants: l'exemple du protocole NICHD. Revue québécoise de psychologie, 27(3), 157-175.


Ligne téléphonique pour venir en aide et mieux orienter les victimes d'agression sexuelle, dans toutes les régions : 1-888-993-9007 ou à Montréal : 514- 993-9007

 

Pour obtenir de l'aide: Fondation Marie-Vincent

 

 

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