Grossesse
La grande traversée de l'infertilité
Anne Villeneuve Photographe : Anne Villeneuve
Quand on essaie d'avoir un enfant sans y parvenir, chaque mois, notre vie est en suspens. Notre journaliste revient sur le parcours du combattant qui l'a finalement menée à la maternité.
Menstruée. Je suis sortie de la salle de bains, furieuse. Bouleversée. Découragée. En larmes. En miettes. Je me suis versé un ballon de rouge et me suis assise au comptoir en attendant l'arrivée de mon homme pour lui annoncer la (très mauvaise) nouvelle: non, je ne suis pas enceinte.
Je boude et je bous. Après deux ans d'essais infructueux, ponctués d'emballants (!) moments programmés pour faire l'amour, après deux ans de démarches en clinique de fertilité, j'ai toujours le ventre vide. Et le coeur dans la bouette. Je me sens persécutée. Abandonnée. Constamment en deuil de ce bébé qui ne vient pas. Pourquoi moi? Au printemps, les bedaines fleurissent autour de moi. Elles sont partout. Leurs propriétaires, souriantes et avenantes, s'enquièrent gentiment de mon sort. «En voulez-vous, des enfants?» est l'une des premières questions coups-de-poing auxquelles j'ai droit. Une fois la révélation faite («Nous sommes infertiles...», à laquelle j'adore ajouter «... mais pas inférieurs!»), on m'assaille de judicieux conseils: «Arrête d'y penser», «Partez en voyage» ou - mon préféré! - «Relaxe, tu es trop stressée».
Malgré les bonnes intentions derrière ces mots, je les trouve insupportables, aliénants, collants. J'en veux à la planète entière, puis je me ressaisis et je doute: et si ce coeur trop lourd de peine et de colère empêchait la vie de se déposer en moi? Ça y est, tout est de ma faute. Je ne tomberai jamais enceinte.
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Ces sentiments, je les partage sur les forums de discussion, grand confessionnal des femmes en démarche de procréation médicalement assistée, ou PMA. Ici, au moins, on parle le même langage que moi: FIV (fécondation in vitro), IAC (insémination avec sperme du conjoint), TEC (transfert d'embryon congelé), HSG (hystérosalpingographie)... Mais ce dont nous préférons parler, c'est notre cycle menstruel et nos symptômes (souvent imaginaires, dois-je avouer). «J'ai mal aux seins, je pense que je suis enceinte», dit l'une, et nous l'applaudissons. «J'ai des crampes, l'embryon s'installe», dit l'autre, et nous sommes toutes d'accord, les félicitations au bord des lèvres.
Ma vie est en suspens: entre deux périodes de menstruations, tous les espoirs sont permis. Je revis, je gagne en confiance, je suis optimiste, j'ai l'oeil heureux et le pas fier. Je surveille tout: je ne bois pas, je ne m'éreinte pas, je dors bien, je sors peu. Je SUIS une future mère, moi! Je me permets même de jeter un coup d'oeil aux pyjamas pour nouveau-nés en solde... La venue des règles est un tsunami qui balaie tout: les espoirs, les rêves, la bonne humeur, et qui parfois même secoue la vie de couple, la vie professionnelle et les amitiés. «L'infertilité ressemble en tous points à une crise de vie, dit la Dre Janet Takefman, psychologue à la clinique en santé de la reproduction du Centre universitaire de santé McGill. Comme pour un divorce ou un décès, certains critères sont réunis: c'est inattendu, c'est hors de votre contrôle et cela a un impact sur votre vie.»
Tout ce dont j'ai besoin, tout ce dont les femmes et les couples qui tentent d'avoir un enfant ont besoin, c'est une oreille. Du réconfort. De la compréhension. De l'ouverture. De la compassion. Et de l'intérêt. «À force de vouloir me ménager, mes proches ne veulent plus trop m'en parler, confie Marie, 33 ans, une graphiste en démarche de PMA depuis 10 ans. Je me sens encore plus isolée et exclue.»
Au bout de mes peines, il y a eu une grossesse. Puis une deuxième. Aujourd'hui, je regarde mes enfants courir et jouer et rire, et je mesure ma chance. Jamais je n'oublierai cette grande traversée, tout comme je pense à celles qui la vivent en ce moment.