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Traitement de l’anorexie: une approche clinique humaine
Le Dr Jean Wilkins traite des jeunes filles anorexiques depuis presque 40 ans. À l’aube de la retraite, ce spécialiste des troubles de l'alimentation prône une approche clinique humaine.
À en juger l'excellent taux de guérison de ses «petites patientes», comme il aime les appeler, le pédiatre Jean Wilkins a développé une approche clinique humaine et efficace pour traiter les troubles de l'alimentation. Dans son livre Adolescentes anorexiques: un plaidoyer pour une approche clinique humaine, le fondateur de la section de médecine de l'adolescence au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine lègue son modèle d'intervention à toutes les personnes qui veulent aider ces jeunes filles à sortir de l'impasse de leur anorexie.
Y a-t-il quelque chose qui déclenche l'anorexie? Quels sont les facteurs de risque?
Les jeunes filles anorexiques ont en commun de nombreux traits de caractère. Ce sont des jeunes filles performantes et perfectionnistes, tant à l'école qu'à l'extérieur. Des facteurs génétiques et hormonaux sont aussi à considérer. De grands changements sur les plans biologique, psychologique et social s'opèrent durant cette période de la vie. Mais à l'origine de l'anorexie, on retrouve souvent une phrase blessante dite par une mère ou une tante: «tu grossis», «si tu ne fais pas attention, tu vas ressembler à ta tante». En quête de performance, ces petites filles qui se sont toujours modelées sur ce qu'on a voulu qu'elles soient ont maintenant un nouvel objectif: maigrir.
À quel moment, doit-on s'inquiéter de la perte de poids d'une adolescente?
Je dis souvent à la blague que lorsqu'un régime ou une diète fonctionne, c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas! Quand la pathologie s'installe, la perte de poids est inévitable. Je ne suis pas certain qu'on peut prévenir l'anorexie. Lors de la première rencontre en clinique, nous sommes face à des parents qui ont tout essayé pour ramener leur fille à la raison. Les familles sont souvent dans un état de grande détresse.
Parlez-nous de votre approche clinique avec les jeunes filles anorexiques?
J'ai développé une approche de la maladie en quatre temps. Le premier temps correspond à la période où apparaît l'autorestriction alimentaire. En quelques mois, la patiente perd du poids et s'en réjouit. Elle peut perdre entre 20% et 60% de son poids initial. La première rencontre avec le médecin vient, en quelque sorte, mettre un terme à ce premier acte. Quand la perte de poids s'arrête et se stabilise, on entre dans le deuxième temps de la maladie, qui se caractérise par une immobilité apparente. Il s'agit d'une période où les soins en milieu hospitalier sont généralement nécessaires.
La patiente ne commence à regagner du poids qu'à la troisième étape, et ce, bien souvent malgré elle. Cette phase se termine lorsque la patiente retrouve son poids initial, celui d'avant la maladie, avec une certaine sérénité, ce qui la mène à la dernière étape, qui est celle de l'après-anorexie, du retour à la vie normale et, pour plusieurs, de l'entrée dans l'âge adulte.
Après le premier rendez-vous en clinique, que recommandez-vous?
Je préconise une approche fondée sur l'accompagnement et non pas l'affrontement. Intervenir pour le bien de la petite patiente, contre son gré, conduit tout droit à l'affrontement. Et mon expérience me dit que l'affrontement est stérile. Avec des adolescentes fragiles physiquement et psychologiquement, il faut adopter une approche tout en retenue et en finesse. Un collègue a dit qu'on n'entre pas dans un jardin privé avec un bulldozer. C'est tout à fait ça. Il ne faut pas vouloir à tout prix une reprise de poids. Il faut établir un lien de confiance, prendre notre temps et miser sur l'intelligence de ces petites filles, car les progrès cognitifs sont aussi importants qu'une reprise pondérale.
Peut-on guérir de l'anorexie?
Si je me réfère à ma pratique, je crois sincèrement que les jeunes filles s'en sortent presque toutes. L'anorexie chez les adultes est plus complexe. Elle peut prendre un caractère chronique ou être associée à un autre trouble psychiatrique. Mon objectif a toujours été de ramener mes petites patientes à la vie normale dans leur corps authentique. Pas à un poids santé, mais à leur poids d'avant le début de la maladie.
Guérir de l'anorexie serait un retour à soi, en quelque sorte?
Tout à fait. Une patiente m'a déjà dit: «Je sais qu'il faudrait que je fasse un u-turn, mais je ne suis pas capable!» Elles sont conscientes qu'elles mettent leur vie en danger, mais c'est comme si elles étaient habitées par une autre petite fille qui les dominait. Elles veulent vivre, mais elles sont dépendantes de leur maladie. Elles ont besoin de ce refuge, le temps de l'adolescence. Ensuite, elles passent à une autre étape de leur vie et en profitent pleinement. Je me souviendrai toujours de cette jeune fille qui m'a remercié de l'avoir «remise dans la vie» et non pas de l'avoir sauvée!
Suggestion de lecture
Adolescentes anorexiques: un plaidoyer pour une approche clinique humaine, Jean Wilkins, Les Presses de l'Université de Montréal, 2012, 202 pages.
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