0-5 ans
Témoignage: Je n'ai pas aimé mon bébé sur-le-champ
Photographe : Anne Villeneuve
Animée par un désir viscéral de fonder une famille, je suis tombée enceinte, j’ai accouché d’un garçon... Mais le coup de foudre s’est fait attendre. Longtemps.
Quand j’ai appris que j’étais enceinte, mes sentiments étaient mitigés. J’étais heureuse, bien sûr, mais aussi totalement terrifiée. Je faisais tout ce qu’il fallait pour protéger ce petit être qui poussait en moi. Mais était-ce de l’amour?
Quand j’en parlais autour de moi, on se faisait rassurant. À la minute où je tiendrais mon fils dans mes bras, tout mon univers basculerait. Merci, les hormones!
Quelques jours avant la date prévue de mon accouchement, mes eaux ont crevé. Le travail a été long et pénible, mais mon fils nous est arrivé en pleine santé.
Fou de bonheur, mon conjoint a coupé le cordon ombilical de son héritier, l’infirmière souriante a posé mon fils sur mon ventre... et puis rien.
Pas de coup de foudre. Pas de big bang amoureux. Je n’étais pas habitée par cet amour instantané qui nous fait crier sur tous les toits que notre enfant est le plus beau. En toute franchise, je le trouvais même un peu moche...
Sur le coup, je n’ai rien dit. Après tout, c’était peut-être la fatigue, la douleur. Mais au fond de moi, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait.
Les jours passaient. Même si je ressentais une grande responsabilité envers mon enfant, l’attachement n’était pas au rendez-vous. Mon fils pleurait énormément, il dormait mal et les boires étaient difficiles. Je m’en occupais au mieux, mais j’aurais montré le même dévouement envers n’importe quel enfant.
Ce n’était pas mon bébé. C’était un bébé. Tout court. Qu’est-ce qui clochait chez moi?
«Pendant la grossesse, on imagine notre bébé, on crée un lien imaginaire et idéalisé avec lui, explique Karine Lapointe, psychologue. Après la naissance, il y a souvent une adaptation nécessaire entre la projection et la réalité. On doit faire la connaissance de notre bébé. Créer ce lien demande du temps, et les déceptions sont fréquentes. Le coup de foudre à la naissance, c’est très rare. Le hic, c’est qu’on en parle peu. Ça paraît mal de dire que notre enfant est comme un étranger. Pourtant, l’attachement se fait souvent au cours des six premiers mois, pas au cours des premières minutes...»
Au fil des jours et des moments collés, j’ai appris à connaître mon enfant, à apprécier ses particularités, ses petits défauts. Puis au vrai premier sourire, mon cœur a plongé. Je suis devenue sa mère, il était mon bébé. Un lien indéfectible nous unissait enfin.