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Le développement du langage chez l'enfant

Le développement du langage chez l'enfant

� Istockphoto.com Photographe : � Istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

Le langage, sous ses formes innombrables, est sans doute la plus grande invention de l’humanité. Pourtant, on ignore souvent comment évaluer le développement du langage de son enfant et identifier ses troubles et ses retards.

C'est un grand soulagement pour tous les parents quand leur petit, pour la première fois, exprime par des mots et non par des pleurs l'objet de son désir. Ne disez pas le contraire: c'est beaucoup grâce au langage que les petits jousent et risent. La langue, a n'en fait plein des belles affaires.

Les origines du langage

Inné, le langage? On y croit depuis que Noam Chomsky, le célèbre linguiste et activiste américain, a émis l'hypothèse qu'une structure neuronale serait déjà présente dans le cerveau, et prête à activer la parole chez l'enfant. On n'a toujours pas trouvé ces fameux neurones, mais cette idée est certainement plus séduisante que la théorie, longtemps admise, voulant que la parole était acquise uniquement par imitation.

Chose certaine, c'est que pour émettre une parole, l'enfant soumet ses muscles et ses nerfs à une gymnastique fort complexe. Pour transformer une respiration en mots, c'est comme si bébé était assis aux grandes orgues. Plus tard, quand cette gymnastique sera bien maîtrisée, ce seront les muscles et les nerfs de ses parents qui seront mis à rude épreuve.

Acquis, le langage? On y croit aussi depuis qu'on sait à quel point la croissance post-natale du cerveau dépend en grande partie de l'environnement proximal de l'enfant, sa mère au départ, puis son père, et enfin les figures qui lui seront familières. L'imitation est en fait une répétition, donc un acquis, une modélisation que le poupon peut ensuite resservir à ses proches.

Inné et acquis donc, pour pas faire simple, voilà assez d'avenues scientifiques pour satisfaire tout le monde et épater toutes les galeries. Ne disez pas le contraire: c'est grâce au langage qu'on se fait des amis.

La connaissance du langage

Le développement normal du langage est mal compris de tous et chacun. On n'a pas fini d'entendre des risez et des jousent!

Comment savoir si l'enfant parle normalement ou non? Comment bien ou mal l'accompagner? Comment savoir s'il a un retard de langage ou un trouble du langage si personne n'est là pour clamer la norme? Les troubles identifiés sont-ils graves? Vont-ils s'améliorer spontanément? Comment les expliquer, les évaluer, les aborder? Si les questions sont légitimes, le savoir faire populaire fait cruellement défaut.

D'ordinaire, les retards ou les troubles du langage de l'enfant vont plus ou moins inquiéter ses parents et son entourage et plus ou moins tôt selon ce qu'ils attendent de la communication, leurs expériences de vie, leur travail, leur milieu socio-économique, etc. Certains parents avertis ou inquiets s'alarment si leur fils de 2 ans ne dit que quelques mots et d'autres ne sont pas choqués lorsqu'un enfant de 5 ans parle encore comme un bébé. Les inquiétudes ou les décisions d'intervenir apparaissent donc à des moments variables dans l'évolution de l'enfant. Mais elles ne sont pas forcément en rapport avec la gravité des troubles.

Plus étonnant, le développement du langage est mal connu de plusieurs professionnels oeuvrant auprès d'une clientèle pédiatrique et qui sont normalement au poste pour bien encadrer et aviser les familles sur la question du bien perler. Le sujet paraît simple, alors il est peu traité dans le cadre de formation des professionnels de la santé. Même les cours universitaires ne fournissent pas d'informations élaborées sur le sujet. L'enseignement du langage à de futurs soignants, c'est un peu comme l'enseignement de la sexualité à des élèves du secondaire: on enseigne un sujet qui a déjà prise dans la réalité et on n'ose pas pousser la machine académique de peur que le cadre théorique fasse pâle figure avec la conversation ou la baise du matin.

Navrante réalité, car l'évolution du petit de l'homme et son intégration sociale dépendent en grande partie de l'acquisition et de l'évolution de ce langage dont les parents, bien ou mal renseignés par des experts de la santé, demeurent les premiers tuteurs.

Maîtriser les mots du langage

Le langage n'est pas qu'une suite de mots que l'on prononce bien ou mal; c'est aussi la capacité de dialoguer avec une autre personne par un échange réciproquement entendu de signes et de mots. Le sens des mots, la syntaxe et la cohérence du discours sont également des caractéristiques importantes à considérer de même que la capacité d'entrer en communication qui fait aussi partie des enjeux.

Le langage ne réfère donc pas seulement au vocabulaire. Et pourtant, historiquement, le langage a d'abord été perçu comme étant essentiellement un répertoire de mots organisés en énoncés. On portait autrefois une attention particulière au «ce que je vais dire» et au «quoi dire». On référait donc, à ce moment-là, à l'aspect «contenu» du langage, c'est-à-dire à l'aspect qui consiste à trouver les bons mots pour exprimer ses besoins. Dans cette perspective, avoir un bon langage, c'était apprendre beaucoup de nouveaux mots, développer son vocabulaire et pouvoir les reproduire au moment opportun. Exemple: la mère qui disait à son entourage «mon enfant connaît beaucoup de mots», indiquait par là que son enfant avait un bon développement du langage.

Maîtriser la forme du langage

Une seconde conception a ensuite dominé la psycholinguistique du développement durant les années 1960. Elle insistait sur les aspects formels, c'est-à-dire les règles qui président à l'organisation de mots pour former des phrases. On référait donc alors à l'aspect «forme» du langage, c'est-à-dire au «Comment je vais construire une phrase adéquate pour transmettre ce que je veux», donc au «comment dire». Exemple: «Est-ce que Jean peut venir jouer chez moi?» implique une phrase bien construite qui exprime mon désir de compagnie.

Maîtriser l'utilisation du langage

Une troisième conception du langage a fait suite aux précédentes. C'est celle que nous adoptons actuellement et qui insiste sur le langage comme «instrument de communication». Cette conception est apparue avec Bloom et Lahey en 1978. C'est un modèle tridimensionnel où les aspects «contenu» et «forme» jouent un rôle très important, chacun à leur niveau, mais où on insiste également sur la fonction pragmatique du langage, son «utilisation» en quelque sorte, au pourquoi dire, au à qui dire, au où le dire et au quand le dire. Exemple: l'enfant qui veut que Jean vienne jouer à la maison doit trouver les mots appropriés pour faire sa demande (contenu); doit organiser adéquatement sa phrase pour faire sa demande (forme); et doit aussi le demander à la bonne personne et de façon adaptée (utilisation).

À partir de cette perception élargie, les parents et les éducateurs peuvent ainsi devenir des agents facilitant l'implantation de programmes d'intervention dans les deux environnements naturels de l'enfant: la famille et l'école. En parlant d'«utilisation» du langage, on parle mieux de la capacité qu'a l'enfant d'entrer en communication avec son entourage, et pas seulement de son vocabulaire et de sa capacité à bien organiser des phrases. On ouvre aussi des avenues sur les façons variées d'entrer en communication. On parlera alors d'actes de langage qui consistent à émettre des phrases pour demander, persuader, renseigner, etc.

La pragmatique du langage concerne la capacité d'entrer en communication avec quelqu'un, de pouvoir poursuivre une conversation en restant dans le contexte et de respecter les tours de parole. Tout cela fait partie du langage.

Les deux facettes du langage
On distingue classiquement deux versants au langage: l'expressif et le réceptif.

Lorsqu'on évalue le développement du langage de l'enfant, on regarde donc la forme, le contenu et l'aspect pragmatique du langage selon la conception tridimensionnelle que l'on a décrite: c'est l'aspect expressif. Il concerne l'organisation et la production du message. L'organisation du message à produire est un processus décisionnel faisant appel à la sélection des mots emmagasinés dans le lexique cérébral, aux règles de la syntaxe, à la mise en action de l'appareil bucco-phonatoire et au contexte de communication.

L'évaluation du niveau de langage de l'enfant tient aussi compte de ses capacités réceptives, attention, perception et compréhension, par rapport à son âge chronologique. La mesure de l'acuité auditive est aussi indissociable de l'évaluation du développement du langage. La perception et le décodage des sons entendus comportent aussi des fonctions de discrimination par rapport à des sons autres que ceux du langage, ainsi que des capacités d'attention et d'emmagasinage de l'information dans un ordre séquentiel. La compréhension et l'interprétation du message reçu résultent du décodage perceptuel et consistent à reconnaître le sens des mots tels qu'ils sont emmagasinés dans un lexique cérébral.

«Pour un enfant, tout est signifiant langage, tout ce qui se passe autour de lui, tout ce qu'il observe.» (Françoise Dolto).
Pour en savoir plus long sur le développement du langage, voir aussi notre article signé par Louise Lafleur, orthophoniste et Jean-François Chicoine, pédiatre:  Développement du langage: Quand bébé commence-t-il à parler?


Sources

Chevrier Muller, C., Nargona J., Le langage de l'enfant: aspects normaux et pathologiques, éd. Masson, Paris, 1996.

Manolson, A. (1997), Parler: un jeu à deux. Comment aider votre enfant à communiquer - Guide du parent, Le Centre Haneu, Toronto, 1996.

Lafleur, L. et Chicoine, J. F., Le développement du langage chez l'enfant adopté, publié par Le monde est ailleurs, Montréal, Québec, 2007.

Dolto, F., Tout est langage, Gallimard, Paris, 1994