Loisirs et culture
Solange nous parle
En fait, c’est Ina Mihalache qu’on a rencontrée et non pas Solange, son personnage bien connu sur Youtube. Découvrons l’artiste à travers ses réflexions et confidences.
Solange, personnage drôle et doux à l'allure un peu perdue, candide et provocatrice à la fois, n'est en fait qu'une facette de la comédienne, vidéaste et artiste plasticienne Ina Mihalache, 30 ans. Née à Montréal d'une mère québécoise et d'un père roumain, la jeune femme est beaucoup plus complexe et tourmentée, solitaire et réservée que son personnage. Celle qui nous touche et nous fait rire sur le web s'est prêtée à notre petit jeu, celui de se dévoiler par bribes, à la suite de l'évocation de mots et de thèmes qui nous préoccupent.
Les selfies
En ce qui me concerne, j'ai bien du mal. Autant j'aime me filmer pour faire des capsules, autant j'ai du mal à tenir un appareil légèrement à distance pour me photographier moi-même... Je trouve ça un peu obscène. Je n'ai pas de problème à ce que les gens le fassent, mais moi, dans la vie, dans la ville, dans les rues, je n'y arrive pas. Les selfies, c'est juste une nouvelle forme de mémoire. En fait, c'est comparable à un portrait souvenir qui n'est pas pris par soi-même. Mais est-ce que ça ne nous empêche pas de vivre le moment? J'ai un compte Instagram, et je le néglige, parce que je suis souvent prise à vivre le moment plutôt que de me prendre en photo. Je vois des personnalités qui passent tellement de temps sur le coup de la bonne photo à faire... Je me dis que ça doit être terrible de vivre avec eux!
YouTube
C'est un endroit de grand n'importe quoi. Mais ç'a été le déclic de ma vocation, parce que j'ai senti que c'était un lieu très démocratique où je pourrais diffuser mon travail et être complètement indépendante de la conception à la diffusion, là où, avant, il y avait plein d'intermédiaires qui décidaient si ça valait la peine de diffuser notre matériel. Pour moi, c'est à la fois un atelier, un lieu de tentatives, d'expérimentations, de grande intimité, de proximité et d'authenticité. Une manière d'atteindre un public chez lui, dans sa poche même.
La popularité
C'est mystérieux et abstrait. Je n'arrive pas à me rendre compte que c'est moi qui vit ça. C'est comme si ça arrivait à quelqu'un d'autre Je me dis qu'un jour les gens vont le découvrir, vont être en colère et vont me le reprocher. La popularité c'est aussi se comparer continuellement, c'est entretenir une sorte de rivalité avec le monde - les autres font ça, le font mieux, etc. Si je pense à moi il y a cinq ans, je sais que j'aurais été super contente d'imaginer ce qui se passe aujourd'hui. Pourtant, je suis là, et je me dis que ce n'est pas assez, il faudrait encore ça ou ça, et je n'ai jamais d'apaisement, la satisfaction de la réussite, parce que je pense toujours à la prochaine étape. Pour rester dans le mouvement, il faut sans cesse proposer autre chose, se renouveler. Parfois je rêve de vivre dans les années 60, d'habiter sur une ferme, d'être à l'abri de tout ça... mais je me secoue rapidement. Je ne crois pas que ce serait pour moi.
La sexualité
Entre 15 et 22 ans je voulais être la partenaire parfaite et idéale pour un homme. J'étais dans le désir de plaire, malheureusement, comme beaucoup d'autres jeunes femmes. Je me suis complètement oubliée dans tout ça, je me suis perdue dans la recherche de la performance, de la femme fatale. C'est en train de se replacer. Là, j'essaie de retrouver la petite fille en moi, sensuelle, curieuse et jouisseuse. Ma libido s'exprime aussi beaucoup dans ma créativité. J'accepte qu'il y a de longs mois où je n'ai pas envie, même si c'est tabou de le dire. Je ne me mets pas de pression, et c'est plus reposant ainsi. Non mais je ne vais pas commencer à faire des tableaux Excel en indiquant le nombre de fois où j'ai fait l'amour au cours d'une période donnée pour savoir si je suis normale!
La maternité
J'ai un problème avec la reproduction. Je ne veux pas d'enfant, et c'est quelque chose qui m'habite beaucoup. Je crois que, dans un monde idéal, on devrait avoir l'option, dès la petite enfance, de pouvoir faire des bébés ou non. Il faut plutôt subir le fait que le corps veut absolument se reproduire. Je me sens trahie de l'intérieur par ces ovules, c'est comme une menace constante. Je pense même à la stérilisation pour me sentir vraiment libre. J'ai fait mes recherches, et j'ai écouté plusieurs témoignages de femmes qui l'ont fait. Quand on parle de ça à son gynéco, les réactions sont immédiates: «Non, non, penses-y, tu es jeune!» Alors que lorsqu'une femme veut faire un bébé, on ne lui dit pas: «Attention, un bébé, c'est un être humain, et c'est pour la vie!» On ne met donc pas en garde les femmes qui en veulent alors qu'on le fait pour les femmes qui n'en veulent pas, au cas où on changerait d'idée. En fait, ça fait partie de la vie de faire de mauvais choix.
L'échec
Je pense que ça résume l'existence, parce que finalement, on meurt. L'échec me stimule, plus que la réussite. Je pense que toute réussite est un échec camouflé. J'aime beaucoup les gens qui assument leurs échecs, qui les revendiquent presque, leurs échecs. J'aime les personnages de loosers.
La colère au féminin
C'est quelque chose que j'ai essayé de ne pas mettre dans mon personnage de Solange. Souvent, les femmes humoristes, elles ont tendance à jouer la fille drôle qui a du caractère. Je voulais que Solange soit une fille douce, pas agressive du tout. Je n'aime pas agresser. Il y a tellement de violence déjà que je ne veux pas en ajouter. J'ai l'impression que lorsque je passe des messages dans la douceur, c'est beaucoup plus efficace. Mais ça, c'est en tant que comédienne. En couple, c'est la même chose, je ne peux pas être avec quelqu'un qui est colérique. Ça me rend hystérique. Je recherche les gens très doux qui communiquent. Ensuite, il y a le sexisme qui me met en colère. Mais je ne l'exprime pas publiquement, cette colère.
Le sexisme
C'est ce qui m'enrage le plus. Ça me révolte. En tant que femme publique qui fait des choses décalées, je suis une cible. Je reçois souvent des commentaires sexistes, des menaces de viol, de meurtre même. La vérité c'est que lorsqu'une femme devient publique, on la regarde et on commente. Si elle prend trop de place, il faut la faire taire. Quand c'est un homme, on l'écoute. Je pense que c'est le rôle des hommes de pouvoir que d'emmener le sujet de l'égalité sur le tapis pour faire réfléchir les bonnes personnes.
La génération des 20-30 ans
Je pense que, règle générale, ces jeunes sont assez indépendants et aussi désillusionnés. Ils ont de la misère à trouver leur place, mais en même temps, ils peuvent se la créer, cette place, s'inventer un métier. J'ai 30 ans, alors je fais aussi partie de cette génération. Je peux donc m'inclure en disant qu'on a du mal avec l'autorité, parce qu'on est désillusionnés. On sait qu'on ne va pas faire un seul boulot toute notre vie, qu'on va en changer plein de fois, que ça ne va pas être facile... Ça me plaît aussi de voir chez cette génération qu'il n'y a pas que deux sexes bien définis, que les genres se mélangent. Je remarque que les filles sont très engagées, plus militantes, plus féministes. Je vois des filles plus jeunes que moi qui sont beaucoup plus affirmées que je l'étais à leur âge.
Le féminisme
Pour moi c'est clair, je suis féministe, et tout le monde devrait l'être. Je trouve ça même absurde qu'on pose encore cette question aux femmes. C'est maintenant aux hommes qu'on devrait la poser. Au Québec, l'égalité se ressent plus. Je ne suis pas assez sur le terrain pour le garantir, mais j'ai l'impression qu'en général les hommes font plus leur part. Ça me conforte. L'idéal pour moi serait d'être une femme douce et forte. Je pense qu'on peut défendre la cause tout en étant très douce.
La pleine conscience
J'ai appris la méditation transcendantale il y a plusieurs années, à Montréal. J'avais mis ça de côté, et voilà que je m'y intéresse à nouveau. Parce que j'ai un cerveau qui fonctionne en permanence. Y'a trop de choses là-dedans. La pleine conscience, ça marche bien, ça me fait l'effet d'un effacement du disque dur. Je ne sais pas encore bien la maîtriser, mais c'est un idéal à atteindre. J'y travaille même en mangeant. C'est dur d'être dans le pur moment. J'essaie, mais y'a trop de choses qui tournent là-dedans... Le hamster est actif. En fait, ils sont plusieurs.
Le silence
Je remarque quand je me lève très tôt ou que je me couche très tard que lorsque je me trouve debout devant la ville endormie j'ai un sentiment de toute-puissance. Surtout quand on vit dans une grande ville comme Paris, c'est presque anormal, ce silence, et ça m'apaise beaucoup. Malheureusement, je ne m'en réserve pas assez au quotidien, des moments de silence. Mais les jours où je me sens courageuse, je me coupe quelques heures d'internet grâce à l'application Freedom. C'est très, très bien! Une fois débranchée - parce que je reçois continuellement des demandes, des agressions même, qui me sucent mon énergie - j'ai l'impression de reprendre possession de ma vie. Je lis ou je fais du yoga, et ce sont des moments de victoire. Quand je suis avec quelqu'un qui ne se sent pas trop à l'aise et qui essaie de combler tous les silences, j'ai envie de lui dire: «ça va, ne t'inquiète pas, on est bien, c'est tout.»
L'amitié
C'est trop dur. Je pense que j'ai échoué. Je suis un peu misanthrope. En amitié, j'ai l'impression de ne pas pouvoir être moi-même, j'ai peur de décevoir. Alors le temps passé avec des amis me semble un peu superficiel. En amour, je donne tout, mais en amitié, j'ai l'impression qu'il faut se retenir. Peut-être que j'ai trop de pudeur. Je ne sais jamais ce qui intéresse l'autre chez moi. J'ai l'impression qu'il faut être divertissant pour l'autre, et je me sens plutôt plate. L'amitié, c'est très mystérieux pour moi. Et compliqué aussi. Il faut prendre rendez-vous pour se voir, on ne peut pas se voir si ça va mal... Je n'y suis pas encore arrivée.
Solange te parle, Payot, 2016, 174 pages, 19,95 $ ou 12,99 $ en version électronique.
À voir:
youtube.com/user/SolangeTeParle/
solangeteparle.com