Loisirs et culture

Rencontre avec Sophie Desmarais

Rencontre avec Sophie Desmarais

MAXYME G. DELISLE Photographe : MAXYME G. DELISLE Auteur : Coup de Pouce

L'automne dernier, le Festival international du film de Toronto l'a sélectionnée, avec trois autres comédiens canadiens, au titre de rising star. Avec raison. En huit petites années de carrière, Sophie Desmarais compte déjà tout près d'une trentaine de rôles. Son dernier film, Gurov & Anna, lui a donné un premier rôle en anglais et elle lorgne vers la France et les États- Unis. Portrait d'une étoile montante qui est déjà big.

Une ado typique... atypique

En 2001, Sophie Desmarais a 14 ans. Cette fille unique d'un couple amoureux, lui contremaître en imprimerie et elle employée chez Bell, fréquente l'école privée Marie-Clarac, une institution catholique qui n'accueille que des filles. Elle n'a pas tellement d'amies, sauf Carolyne Scenna, dont Sophie dira: «Merci, je l'ai eue, elle.» En cours de route, les deux jeunes femmes ont fait de leurs parents des amis, et, à 28 ans, elles partagent encore voyages, amitié et un appartement dans le Mile-End.

Mais en pleine adolescence, les goûts de Sophie détonnaient de ceux des autres ados de Terrebonne, où elle grandissait. «Je lisais Stendhal, j'écoutais des documentaires et j'exigeais du cinéma d'auteur. J'étais prétentieuse et dure avec les autres. J'ai fait des crises de larmes parce qu'on n'arrivait pas à trouver le recueil de poésie que je voulais lire! Je trippais sur les classiques du 19e, sur la littérature de Jane Austen et sur le jeu de Gérard Depardieu. Mon père en a parcouru, des kilomètres, d'un club vidéo à un autre, lui patient et moi désespérée. C'était comme si ma vie en dépendait. Je cherchais Jeanne Moreau, et je ne trouvais que la cassette de Ricky Martin!»

Tout cela est révolu. «Sauf une chose, insiste Sophie. Je déplore que la culture sorte rarement des grands centres. À titre d'exemple, la plupart des films québécois dans lesquels j'ai joué n'ont jamais été à l'affiche au cinéma Guzzo de Terrebonne.»

Dans son cas, c'est lorsqu'elle a eu la liberté de venir à Montréal, vers 16 ans, qu'elle s'est offert un grand bol d'oxygène culturel avec la Cinémathèque, l'ONF, l'Excentris, les musées... «Enfin, une alternative aux après-midi passés à sentir les chandelles parfumées au centre d'achats.» À 18 ans, elle est partie en Europe avec sa meilleure amie. «Terrebonne-Paris, enwoèye par là! Je suis débarquée dans le 10e, près de la Bastille. C'est le Paris pas trop snob. J'y suis restée attachée.»

Voyager lui a appris qu'elle aime les villes. «Mais il faut s'assurer d'en sortir. Pour l'esprit, il importe de voir loin, littéralement. Ça évite que les petits soucis ne finissent par nous assassiner.» Pour nourrir son esprit, elle a découvert le Sri Lanka. «La culture bouddhiste m'est apparue envoûtante. J'ai d'ailleurs rencontré le cinéaste sri-lankais Vimukthi Jayasundara, qui a gagné la caméra d'or, à Cannes, en 2005. Une rencontre incroyable! On partageait le même amour pour la méditation, la poésie et pour son pays. La nature y est magnifique: la montagne, la jungle, la plage, c'est un concentré de tous les paysages.»

Quand Sophie annonce qu'elle part un mois chaque année, il s'en trouve pour faire allusion à la richesse qu'engendre son succès. «Ça me dérange parce que j'ai fait des choix. Je vis en colocation. Oui, j'ai une étole de vison, mais je l'ai achetée de seconde main. Je suis une amoureuse de la qualité des textures, des tissus. Et mon amour se trouve mieux servi avec le vintage. J'aime porter des pièces uniques qui ont une histoire. C'est matière de goût, et non de fric. Je n'aime pas cette vision qui veut qu'un artiste véritable et sincère ne se préoccupe pas d'argent. Je me sens très fière de pouvoir bien gagner ma vie avec mon art.»

Galerie photos

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L’album de Sophie

Une beauté pour les yeux:

Les gardénias. C’est capricieux, c’est high maintenance – un peu comme moi (grand sourire). J’en ai eu, mais ils sont morts.

Photographe: Shutterstock Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, avril 2015

L’album de Sophie

Une inspiration:

Nelson Mandela. Après 27 ans en prison, c’est un exemple pur de force, de résilience et de courage, celui de se battre pour ses idées.

Photographe: Shutterstock Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, avril 2015

L’album de Sophie

Un souvenir professionnel:

Les costumes de mon personnage dans Gurov & Anna. Avec la costumière, Nicole Magny, on a travaillé un style intemporel. Elle m’a laissé beaucoup de liberté, c’était une collaboration exceptionnelle. Porter des bérets de fourrure était une de mes idées, car j’ai porté des bérets de ce style toute mon adolescence. C’était mon clin d’oeil à ma propre histoire.

Photographe: FILMOPTION ©2013/FABRICE GAËTAN Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, avril 2015

L’album de Sophie

Une indispensable:

Malala Yousafzai, cette jeune militante pakistanaise de 17 ans qui se bat pour le droits des femmes et qui a résisté à l’attaque des Talibans. L’univers a besoin de gens comme elle. Urgent!

Photographe: Shutterstock Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, avril 2015

L’album de Sophie

Une citation:

Dans American Beauty, Ricky Fitts dit: «Et c’est le jour où j’ai compris qu’il y avait toute cette vie derrière les choses, et cette force incroyablement bienveillante qui voulait me faire comprendre qu’il n’y avait aucune raison d’avoir peur, jamais.» Ça me rappelle la force de la Vie, plus grande que tout. La vie fait bien plus peur que la mort. Les gens planifient la vie, justement pour la contrôler. Or, il faut laisser la vie se dérouler.

Photographe: American Beauty Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, avril 2015

 

Dans la cour des grands

Depuis sa sortie de l'option théâtre de Lionel-Groulx en 2007, elle a à son actif pas moins de 17 rôles au cinéma et 10 au théâtre, des rôles qui l'amènent vers des zones d'exploration qu'elle chérit. Par exemple, pour jouer le rôle de l'ado paumée et enceinte dans Yukonstyle, la pièce que Sarah Berthiaume a présentée au Théâtre d'aujourd'hui l'an dernier, elle a rencontré Joséphine Bacon, embauchée à titre de spécialiste de la culture innue. «Elle nous expliquait notamment que dans cette culture, on ne définit pas les choses par leur genre. Le monde ne se divise pas en masculin et féminin, mais en vivant et non vivant. La neige est vivante, pas la feuille de papier. Ce genre de découverte représente l'un des aspects que je préfère de mon métier.»

L'automne dernier, justement, elle était au SIFF, le Shanghai International Film Festival, où l'accompagnait son amoureux, Guillaume, un acupuncteur qui a séjourné en Chine et qui se débrouille en mandarin. Elle a foulé le tapis rouge du Festival de Cannes l'année précédente pour ses rôles remarqués dans Sarah préfère la course, de Chloé Robichaud, et Le Démantèlement, de Sébastien Pilote. Elle est de la distribution de Qu'est-ce qu'on fait ici?, de Julie Hivon, de Henri, Henri, de Martin Talbot, en plus de faire ses débuts en anglais dans Gurov & Anna, le long métrage de Rafaël Ouellet. «Mon personnage, Mercedes, est francophone, mais elle se projette de façon différente quand elle parle anglais. Dans cette langue, c'est ce qu'elle voudrait être qui ressort, plus que ce qu'elle est vraiment. J'ai aimé cette contrainte. Avec le réalisateur, on a décidé de garder mon accent intact, de l'assumer pleinement.»

Au théâtre, son interprétation de Héro dans le classique de Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien, mis en scène par René-Richard Cyr et présenté au TNM en 2009 lui a valu le Prix de la relève Olivier Reichenbach. Au même théâtre, ce printemps, elle fait partie de la distribution de Richard III (10 mars au 4 avril 2015), de Brigitte Haentjens. À la télévision, elle interprète, depuis 2010, le personnage de Suzie Castonguay dans le téléroman Yamaska et elle a été de l'adaptation québécoise de la télésérie En thérapie, disponible en DVD. C'est beaucoup en peu de temps.

Rester soi-même

Depuis le succès, pourtant, elle affirme que son quotidien n'a pas beaucoup changé. «C'est le regard des autres qui a changé. Comme dans le règne animal, lorsqu'un sujet se fait observer, ça lui fout la trouille. Après sept ans d'activité, j'ai fermé ma page Facebook. Mon métier me met à l'avant-scène; dans ma vie privée, j'ai besoin d'intimité. Je ne veux pas être observée ni partager mes impressions.» Pour le reste, elle vit comme une fille de son époque. Son père s'occupe de l'entretien de sa voiture et sa mère l'aide à apprendre ses textes, lui fait des sauces, des soupes et du lavage lorsque son horaire déborde. «Je ne peux pas dire non à ça! Ma mère veille: "Aujourd'hui, on annonce de la neige. Tu feras attention." Si seulement je pouvais encadrer ces textos-là!»

Sophie parle beaucoup de l'âme. Cet éveil prend naissance dans l'enfance. «J'étais très proche de mes grand-mères. Ma grand-mère Claudette, née à Paspébiac en Gaspésie, venait d'une famille pauvre en argent mais riche en ressources. Arrivée par train à 15 ans, elle a mis au monde dix enfants et a eu une vie difficile. Son courage et sa force m'ont marquée. Ma grand-mère Jeanne, née en 1915, a eu six enfants, dont mon père. Elle lisait beaucoup. Elle étudiait la musique et la métaphysique. Elle s'intéressait aux religions. Elle m'enseignait des choses simples, mais très groundées. Elle m'a notamment transmis une technique de méditation qui consiste à toucher l'écorce d'un arbre pour y puiser son énergie. On peut s'adosser, ou y mettre la plante de ses pieds ou les paumes de ses mains, et se brancher à cette énergie-là, la laisser voyager dans son être. «Elle me disait: "Mets tes pieds nus sur l'arbre. Reste avec lui." À cinq ans, on faisait ça toutes les deux, comme un jeu. Quand elle est morte, j'ai compris que je venais de perdre une exploratrice de l'invisible.»

Cela dit, la comédienne a les pieds ancrés dans la vraie vie. Pour un rôle dans la série En thérapie, elle dû se mettre dans la peau d'une jeune femme de 25 ans qui a un lymphome. «Ça m'a fait prendre conscience qu'on meurt parfois à mon âge! Ça donne envie de vieillir.» Mais quand on pratique le métier d'actrice, vieillir pardonne rarement. «Je ne ferai rien contre nature, affirme Sophie. Si je ne peux plus travailler à 45 ans parce que les gens me trouvent trop laide ou trop vieille, je vais faire autre chose! Je ne me laisserai pas détruire par le métier d'actrice. Mais en disant cela, je suis très consciente que je n'ai que 28 ans. Je suis certaine que le problème est plus complexe.»

En attendant, elle cultive d'autres passions que le jeu. Depuis l'été, elle apprend le violoncelle. «C'est un rêve que je réalise. Je n'ai jamais appris la musique. Plutôt que de le regretter toute ma vie, j'ai décidé d'investir maintenant; dans 10 ans, je pourrai dire que j'ai quelques notions, et j'en serai fière. J'apprends la musique à 28 ans comme le ferait un enfant de 6 ans. Dans mes cahiers, il y a des oursons! Il faut avoir l'humilité de commencer à zéro, sinon on passe sa vie à regretter. Je ne veux pas regretter. Je veux vivre à plein.»

En rafale

  • Un trait inconnu de mon caractère: je suis espiègle.
  • La qualité que je préfère chez un homme: la douceur.
  • La qualité que je préfère chez une femme: l'authenticité.
  • Un défaut: je suis impatiente.
  • Mon occupation préférée: faire l'amour, ce qui n'est pas vraiment une occupation.
  • Mon rêve de bonheur: une grande maison remplie des gens que j'aime.
  • Mon plus grand malheur: perdre mon humilité.
  • Ce que je voudrais être: moi-même, le plus possible.
  • Le pays où j'aimerais vivre: le Sri Lanka.
  • La couleur que je préfère: le rose. C'est sensuel, c'est gai, c'est rond.
  • Un oiseau fétiche: le moineau, symbole de vie dans les villes.
  • Une héroïne de l'histoire: Jeanne d'Arc.
  • Une chose que je déteste par-dessus tout: l'arrogance.
  • Le don de la nature que je voudrais avoir: plus de simplicité.
  • Mon état d'esprit actuel: le doute, constant.
  • Ce à quoi j'aspire: plus de légèreté.
  • La façon dont j'aimerais mourir: je n'aimerai pas mourir, alors aussi bien le faire en dormant. 

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