Loisirs et culture

Rencontre avec Louise Portal

Rencontre avec Louise Portal

Marie-Reine Mattera Photographe : Marie-Reine Mattera Auteur : Coup de Pouce

En novembre dernier, Louise Portal venait tout juste de clore un grand chapitre de sa vie. Avec Jacques, son mari, elle venait de vendre leur maison de Capaux-Renards, en Gaspésie. Douze ans de sa vie, trois romans, deux contes pour enfants inspirés des lieux et des enfants qui y vivent, des conférences bâties en ces murs, une implication dans la communauté, des amitiés sincères, un sentiment d'appartenance solide, ancré. «C'est terminé. Je vais y retourner, c'est certain, mais plus jamais de la même manière. Peut-être que la Gaspésie me voudra encore, mais je n'ai plus besoin d'avoir cette maison qui m'habite, ni moi qui l'habite. Je suis requise ailleurs. Ma vie m'appelle dans de nouveaux horizons.»

Celle qui parle des nouveaux horizons aura 65 ans en mai prochain. Romantique parmi les romantiques, elle n'est pourtant pas femme à s'enticher du passé. «Vivre ici et maintenant, c'est ça qui compte vraiment», répète-t-elle comme un mantra. Or, le couple avait deux maisons et, depuis trois ans, un pied-à-terre au 17e étage d'un immeuble de l'Île-des-Soeurs. En Gaspésie, ce rapport à la mer et à la communauté; à Montréal, ce rapport à l'effervescence urbaine et au calme apaisant du fleuve; et à Eastman, ce lien fondamental à la lumière et à la terre - un rocher, extrait du sol au moment de l'excavation, trône au centre de la maison. «Je suis Taureau - un signe pour qui l'habitat est très important. Le temps est venu. On a vendu la maison avec tout dedans! On a laissé notre création et notre signature. On a laissé notre trace pour une autre famille.» Pourtant, dans son roman L'Enchantée, l'auteure s'y projetait, vieille actrice, terminant sa vie en Gaspésie. «Ça ne sera pas ça, dit-elle en laissant couler ses larmes. Et c'est correct comme ça.»

Résignée, la grande Louise? «Jacques et moi, nous sommes dans un mouvement d'allègement. Nous avons pris la décision qu'à partir de maintenant, si on a la chance de vivre longtemps, tout doit être facile et simple. C'est essoufflant d'être constamment entre deux lieux. On a besoin de se déposer. On a pas mal fini nos années d'envol; on est plus dans des années d'atterrissage. Il faut se mettre en mode action, aller de l'avant. C'est ce qu'on a fait en vendant notre maison. La peine et la douleur vont s'évacuer. Je peux dire que je suis libre de Cap-aux-Renards. Jacques, lui, dit qu'on est en convalescence.» Je lui tends un mouchoir. Elle rit à travers ses larmes. «On sait que la réponse à notre sérénité, c'est le temps.»

Louise à travers les âges

Comme l'a chanté Gilles Vigneault, elle jette souvent les dés dans la main du temps. «Le temps et l'amour, c'est ce qui marque la vie, vraiment. Chaque décennie apporte ses révélations, croit celle qui a fait de cette théorie une série de conférences. La vingtaine est une période de défrichement. On définit notre parcours pour construire notre avenir. Il y a des ronces, des racines, des roches. Ce sont des années très difficiles, car souvent, on ne comprend même pas sur quel terrain on se trouve. On rencontre beaucoup d'obstacles. Se reconnaître, savoir ce qu'on veut, respecter nos idéaux, c'est dur quand on a 20 ans! La trentaine se pointe pourtant, avec ses années de semence. C'est le temps de semer et de s'aimer. Mais souvent, on ne s'aime pas bien, à 30 ans, alors, on sème n'importe quoi. Et ce qu'on sème, on le récolte à 40 ans.»

Donc, la quarantaine, c'est l'heure des bilans. «On n'a pas le choix de faire face et de se faire face. On a la moitié de notre vie de passée! On regarde dans notre panier de vie, et ce qu'on y trouve, c'est ce qu'on a bâti. Et la cinquantaine se pointe déjà, et c'est là le début des années de legs. C'est l'heure de l'héritage, c'est-à-dire que normalement, on a acquis assez de bagage pour être capable de redonner. Moi, je me suis impliquée énormément dans ma communauté pendant ma cinquantaine. Et là, c'est l'heure des choix.»

Elle en a long à dire sur les choix. Elle a été présidente des Rendez-vous du cinéma québécois pendant quatre ans, s'est occupée d'une fondation pour les enfants malades, à Québec, pendant huit ans. Elle a cofondé les Correspondances d'Eastman il y a 13 ans. Elle s'est impliquée dans sa communauté gaspésienne. «Ça m'a apporté la possibilité de redonner, parce que j'ai beaucoup reçu de la vie. À l'inverse, ça m'a enseigné que je n'avais pas toujours à répondre "présente" quand on me sollicite. Nous, les femmes, on a beaucoup à apprendre de cette petite phrase. Chères lectrices de Coup de pouce qui avez 25 ou 35 ans, lisez bien ceci: on répond "présente" à nos enfants, à nos parents, à nos amis, à notre conjoint, à notre image, à notre maison, à notre carrière, à notre patron. Je suis en train de délaisser ça, et j'ai 64 ans. Il faut choisir comment on s'investit. Et il y a une grande beauté et un grand respect de soi-même dans notre capacité à dire: "Non, merci, ce n'est pas souhaitable pour moi."»

Dans son mouvement de légèreté, elle se retire de bien des projets. «Le temps qui vient m'appartient. Je sais dire non, sans me sentir coupable, ou j'apprends à le faire. Une amie m'a prédit que 2015 serait l'année de la pondeuse. Pondeuse comme dans pondre des projets. J'ai aimé l'image. Je serai pondeuse, mais je choisirai les nids où je déposerai les oeufs.»

Galerie photos

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L'album de Louise

Un plaisir coupable

Les chocolats de Geneviève Grandbois.

Photographe: . Par : Josée Larrivée Source: Coup de pouce, mars 2015

L'album de Louise

Un objet fétiche

Le bijou que je porte à mon cou. Le petit coeur sur un fil de pêche, c’est de Jacques. La petite boule de perle me vient d’une amie. La plume, c’est un cadeau reçu d’un groupe à qui j’avais offert une conférence, et c’est la même que celle tatouée à mon poignet. C’est un symbole de liberté et d’envol intérieur, lié au départ de ma soeur jumelle en août 2010.

Photographe: Vero Boncompagni Par : Josée Larrivée Source: Coup de pouce, mars 2015

L'album de Louise

Une inspiration: Janine Sutto

Je l’ai choisie pour ma rencontre dans Les Forces de l’âge (Guy Saint-Jean éditeur), où 14 duos sont interviewés par Michel Coulombe, au sujet du temps qui passe.

Photographe: Vero Boncompagni Par : Josée Larrivée Source: Coup de pouce, mars 2015

L'album de Louise

Un souvenir heureux

Pauline et moi.

Photographe: Le bel âge Par : Josée Larrivée Source: Coup de pouce, mars 2015

L'album de Louise

Un côté moins connu de moi

J’écris aussi pour les enfants.

Photographe: . Par : Josée Larrivée Source: Coup de pouce, mars 2015

L'album de Louise

Un indispensable

Mes 96 cahiers. J’y écris tous les jours, des observations, des questions, de la poésie, des réflexions. J’y colle des images. Ce sont des cahiers de vie.

Photographe: . Par : Josée Larrivée Source: Coup de pouce, mars 2015

 

L'amour du métier

Sa théorie semble fonctionner, car le cinéma et la télé courent après la sexagénaire. En 2014 seulement, elle a tourné dans pas moins de quatre films. Cherchez-en, des actrices de 64 ans aussi prolifiques! Elle sera Maria dans Les Loups, de Sophie Deraspe, elle sera la belle-mère de François Létourneau dans Paul à Québec, l'adaptation de la bédé de Michel Rabagliati. Au printemps, elle est descendue à Paris pour tourner une scène-clé d'un film israélien (Kind Words) dans lequel elle joue une actrice française qui fait une révélation essentielle pour faire avancer l'intrigue. «Les jeunes acteurs sur le plateau n'ont rien compris de ce que j'ai déblatéré, mais ils ont dit: "Wow! It was so good!" J'arrive dans une période de rôles aussi riche et belle que ce que j'ai connu quand j'avais 30 ans. Ces personnages sont aussi forts et intéressants, mais joués avec la maturité de la soixantaine. L'expérience fait appel à l'être. Dans le film de Renée Beaulieu (Le Garagiste), je ne suis qu'une présence auprès de cet homme (Normand D'Amour) qui va mourir et qui décide de revenir auprès de la femme qu'il a aimée. Mais la présence, il faut l'avoir pour la donner!»

Le petit écran ne la délaisse pas pour autant, au contraire. Alors que les séries Destinées et Toute la vérité se sont tues, emportant avec elles deux rôles tenus par Louise, voilà que le petit écran nous la ramène dans Lance et compte, mais surtout dans 19-2, avec son personnage de Marie-Louise. Alors qu'elle avait été vaguement pressentie pour jouer la barmaid, il est venu à ses oreilles que «finalement, non, le rôle serait trop petit pour Louise Portal». Elle a saisi le téléphone: «Y'en n'a pas de rôle trop petit. Donnez-le-moi, le rôle, je vais en faire quelque chose.» Depuis, Podz l'appelle la mère spirituelle de 19-2. «Et tu vas voir que la mère spirituelle, elle va devenir pas mal olé olé!»

L'actrice plaît. Elle dégage une sensualité indéniable, et pour ajouter à sa beauté, elle a appris à s'assumer. «Je suis une femme aimée et désirée. Ça fait toute une différence. Le regard de Jacques y est pour beaucoup dans l'acceptation de soi. Toutes les bébelles qui nous guettent, la prise de poids, la cellulite qui s'installe, la diminution de l'énergie, tout cela nous angoisse en vieillissant. J'ai eu un chum qui me disait: "Je ne veux pas que tu m'imposes ta vision de ton corps." Il ne voulait pas entendre mes doléances. Je peux dire que je suis bien mieux dans ma peau aujourd'hui à 60 ans qu'à 40 ans! Je me sens comme un jardin qu'il cultive. Parfois, il me regarde et il me dit avec un beau sourire: "T'es ben belle! Mais qu'est-ce que tu fais toute nue!?" Je suis pourtant habillée. C'est sa façon de me faire comprendre qu'il me voit avec son propre regard. Ce bien-être se reflète sur ma vie d'actrice. À 20, 30 et 40 ans, je les ai eus, les premiers rôles. J'accepte d'avoir des rôles plus effacés parce que je suis bien avec moi-même. Je suis aimée, désirée et consciente de mes forces. Mais en vieillissant, je ne veux plus courir après les rôles. Je veux qu'on me choisisse.»

Qu'elle parle du métier, du vieillissement ou des choix de vie, en filigrane, dans son discours, dans sa pensée, il y a toujours l'amour. «On met beaucoup d'énergie à réussir sa carrière, mais on en met peu à réussir sa vie amoureuse. Je pense que les femmes, autant que les hommes, restent dans leur orgueil, leur ego et leurs blessures. L'amour, ça nous met face à nous-même et à notre parcours jonché de blessures qui nous viennent de l'enfance et du cours de la vie. De nos premières années d'amour, notamment. Ça prend du courage pour adresser nos blessures, et pour recevoir celles de l'autre. Moi, j'ai toujours donné une chance à l'amour. Je n'ai jamais cessé d'y croire. J'accueille l'amour sous toutes ses formes. Je dessine des coeurs partout. Je préfère souffrir en aimant que de me priver d'aimer.»

En rafale

  • Le principal trait de mon caractère: la générosité.
  • La vertu que je préfère: la bonté.
  • La qualité que je préfère chez un homme: le juste équilibre entre voyou et bon. Je les appelle les brigands du coeur.
  • La qualité que je préfère chez une femme: la complicité dans la communication. Deux femmes qui sont généreuses l'une envers l'autre, c'est d'une grande beauté.
  • Mon rêve de bonheur: Je le vis maintenant: sereine et libre.
  • La faute qui m'inspire le plus d'indulgence: la faute alimentée par la peur.
  • Le don de la nature que j'aurais voulu avoir: le piano. J'ai essayé - et ça a été la catastrophe.
  • Un auteur qui m'alimente: celui que je lis maintenant: Jean-François Beauchemin, Une enfance mal fermée (Leméac).
  • Un moment précieux de ma vie: Ma rencontre avec Jacques, il y a 21 ans. J'étais chez un ami, et il est venu nous rejoindre pour aller patiner au marché Bonsecours. C'est là que ça s'est passé! Quand ils ont sifflé pour qu'on change de bord de patinoire, Jacques a déposé ses mains sur mes hanches et j'ai eu un choc électrique. On ne s'est plus quittés.
  • Comment j'aimerais mourir: Comme j'ai vécu. Dans la sérénité. Mais pas subitement. Je voudrais avoir le temps d'accueillir la mort, et de vivre ce passage-là, comme j'aurai accueilli et vécu tous les autres.

Les mots qui résonnent pour Louise Portal

Accueillir et recueillir. C'est se retrouver face à son âme. Prendre le temps de se retrouver. S'imposer des silences. Cela aide à se rapprocher de son essence.

Me poser. À 30 ans, j'étais très déterminée. J'avais des étincelles aux talons! Je fonçais. Trente-cinq ans plus tard, je prends encore la parole, mais la force vient de l'intérieur.

Me déposer. Avant, je disais souvent que j'étais fatiguée. Jacques m'a fait remarquer que j'avais simplement besoin d'autre chose. Prendre l'air, lire, briser le rythme. Annuler tout un week-end de promesses, un quarantième, un anniversaire, un ci, un ça. C'est ça que je dois apprendre. Appuyer sur Pause. Si les gens nous aiment vraiment, ils vont comprendre.

Faire Delete. La capacité de se débarrasser de ce qui est néfaste pour soi. On a le droit de faire ça! On peut même faire de la méditation, du yoga ou aller en thérapie pour se faire aider. Mais il faut apprendre à effacer les éléments et les gens néfastes.
Rester dans la sérénité de mes souliers. Mes souliers de déesse comme mes pantoufles m'appartiennent, et je dois être sereine dans chaque occasion de ma vie.

Rester près de ma nature. Ma nature profonde est d'être généreuse, et il ne faut pas s'éloigner de sa nature. Mais il faut que j'aie un peu plus de discernement, et de la contenance. Par exemple, j'ai vécu avec une jumelle qui me demandait d'être sa mère et qui, en même temps, était en conflit avec le sens de notre relation. Ça a duré 55 ans!

Prendre la parole. Les magazines, le cinéma, la télé ne sont pas représentatifs du monde dans lequel on vit! On ne s'adresse qu'aux trentenaires! Les femmes de 60 ans, où sont-elles? C'est choquant! Nous sommes des mères, des grands-mères, des travailleuses, nous avons une expérience, une voix, des choses à dire.

Investir dans son âme. Quand tu es rendue que tu payes des souliers 200$, pense que tu pourrais te payer un bon cours de yoga avec ça! Avec 20$, au lieu de t'acheter une pizza, tu peux te procurer un bon livre! Quand tu investis 20$ dans une pizza au coin de la rue et que tu te jettes dedans, qu'est-ce qu'il te reste ensuite?

Incarner ses personnages. (Elle est devenue Marie-les-Loups sur sa page Facebook. Sa grosse repousse grise, sa chemise de chasse, sa cicatrice, le vent des Îles-de-la-Madeleine, entourée de Gilbert Sicotte, d'Evelyne Brochu et de Benoit Gouin.) «J'avais besoin de tout ça pour ressentir le personnage, pour devenir cet autre. Alors, qu'on ne me demande pas d'aller en audition pour savoir si je peux incarner la force de Maria. Après toutes ces années, si on ne sait pas ce que je peux donner, je laisse tomber!

À lire: Rencontre avec Julie Le Breton

 

 
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