Loisirs et culture
Les dossiers liés à la Charte qui ont changé l’histoire du Canada
Photographe : The Walrus
La plupart des Canadiens se sentent à l’aise de pouvoir dire, faire et être ce qui leur plaît — un sentiment qui est ancré à la fois dans la culture et le droit canadiens.
Lorsque la Charte canadienne des droits et libertés a été inscrite dans notre Constitution en 1982, le pays s’est doté d’un outil puissant pour garantir le droit de chaque individu à l’égalité, à la libre expression et à d’autres libertés.
Mais un document comme la Charte est ouvert à l’interprétation. Au cours des quarante dernières années, un certain nombre d’affaires juridiques marquantes — luttant pour des choses comme la liberté de religion, l’autonomie corporelle et l’égalité des LGBTQ — se sont rendues jusqu’à la Cour suprême, tout cela au nom du maintien des dispositions relatives aux droits de la personne énoncées dans la Charte. Ce ne sont là que quelques-unes des affaires qui ont contribué à faire progresser le droit canadien et à mettre en pratique les énoncés de la Charte.
BIG M DRUG MART: DROIT À LA LIBERTÉ RELIGIEUSE (1985)
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La Charte est conçue pour protéger les libertés religieuses de toutes sortes, y compris la liberté de ne pas observer les coutumes religieuses courantes. Dans l’une des premières affaires de la Cour suprême où les droits garantis par la Charte ont été évoqués, le Big M Drug Mart de Calgary s’est battu contre la Lord’s Day Act, une loi canadienne qui interdisait toute activité commerciale le dimanche afin de permettre aux citoyens d’observer le sabbat chrétien.
Invoquant la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte, les propriétaires de Big M estimaient que la Lord’s Day Act était inconstitutionnelle et violait leur droit de défier la doctrine chrétienne. Si la loi sur le Jour du Seigneur permettait à Big M de vendre des produits de première nécessité — comme des médicaments — le dimanche, le magasin s’était vu infliger une petite amende pour avoir vendu d’autres articles. Des accusations similaires portées contre d’autres détaillants avaient donné lieu à des batailles judiciaires dans le passé, mais Big M était le premier à disposer de la Charte. Bien que la lutte pour la poursuite des activités commerciales le dimanche semble pittoresque aujourd’hui, elle est considérée comme un cas majeur ayant ouvert la porte à d’autres défis liés à la Charte pour les décennies à venir.
DAVID OAKES: LE DROIT À LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE (1986)
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En vertu de la Charte, chaque Canadien a le droit d’être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée devant un tribunal. Lorsque David Oakes a été arrêté après que la police l’ait trouvé en possession d’argent et d’huile de haschisch à London, en Ontario, il a prétendu que les drogues étaient destinées à son usage personnel. Malheureusement pour Oakes, en vertu de l’article 8 de la Loi sur les stupéfiants, toute personne trouvée en possession de drogues illégales est présumée coupable de trafic. Par conséquent, un «renversement du fardeau de la preuve» lui a été imposé, ce qui signifie que c’était à Oakes lui-même de prouver qu’il n’avait pas l’intention de vendre la drogue.
Oakes a soutenu que le renversement du fardeau de la preuve constituait une violation de l’article 11(d) de la Charte, soit la présomption d’innocence. La Cour suprême du Canada lui a donné raison et a déclaré inconstitutionnel l’article 8 de la Loi sur les stupéfiants. L’affaire a créé un précédent important pour les cas à venir: à ce jour, les tribunaux utilisent le «test Oakes», un test en trois parties qui permet de déterminer si le gouvernement peut justifier l’application d’une loi qui limite un droit garanti par la Charte.
DR HENRY MORGENTALER: L’AVORTEMENT ET LE DROIT À LA LIBERTÉ ET À LA SÉCURITÉ (1988)
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L’affaire Morgentaler est l’une des plus célèbres de l’histoire du Canada. En 1983, le Dr Henry Morgentaler et deux de ses collègues (le Dr Leslie Frank Smoling et le Dr Robert Scott) ont été accusés d’avoir enfreint l’article 251 du Code criminel pour avoir pratiqué des «fausses couches illégales» dans une clinique de Toronto. À cette époque, l’avortement n’était légal au Canada que dans les hôpitaux agréés et pour les patientes qui recevaient l’approbation de comités hospitaliers qui prenaient leurs décisions en fonction de la nécessité médicale.
Morgentaler et ses collègues ont porté leur cause devant la Cour suprême du Canada, invoquant le fait que les lois fédérales sur l’avortement violaient les droits à la sécurité et à la liberté des Canadiens garantis par la Charte, car elles portaient atteinte à l’intégrité corporelle des patients et à leur capacité de prendre des décisions susceptibles de changer leur vie.
La Cour a conclu que l’article 251 du Code criminel violait l’article 7 de la Charte, ce qui a conduit à la décriminalisation de l’avortement et à l’ouverture de cliniques dans tout le pays.
LITTLE SISTERS BOOK AND ART EMPORIUM: LIBERTÉ D’EXPRESSION ET ÉGALITÉ LGBTQ (2000)
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Les Canadiens ne jouissent pas d’une liberté d’expression sans entrave. Bien que l’article 2 de la Charte protège «la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression», des choses comme les discours haineux, le matériel obscène et la diffamation sont encore souvent interdites par diverses lois, dans des «limites raisonnables prescrites par la loi». Mais ces lois peuvent donner lieu à des interprétations injustes, comme l’a constaté le Little Sisters Book and Art Emporium de Vancouver en 2000, lorsqu’il s’est rendu compte que des commandes de matériel érotique destiné aux gais et aux lesbiennes expédiées des États-Unis étaient refusées par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).
Bien que les agents de l’ASFC aient le droit d’interdire le matériel obscène, la Cour suprême a conclu que le magasin était injustement ciblé en raison de son public LGBTQ et que le matériel similaire destiné aux hétérosexuels ne faisait pas l’objet d’un examen similaire. Le magasin a réussi à prouver deux violations de la Charte, l’une contre sa liberté d’expression en important ce type de matériel et l’autre contre les droits à l’égalité de ses propriétaires en tant que membres de la communauté LGBTQ. La décision a créé un précédent pour les futures affaires de discrimination LGBTQ.
RICHARD SAUVÉ: PROTÉGER LE DROIT DE VOTE (2002)
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L’article 3 de la Charte garantit que tout citoyen adulte du Canada a le droit de voter pour les membres de la Chambre des communes et de l’Assemblée législative, mais les détenus ont toujours été exclus du processus démocratique. En 1993, dix ans après l’entrée en vigueur de la Charte, le Parlement a accordé le droit de vote aux détenus purgeant une peine de moins de deux ans, laissant toujours ceux qui purgeaient des peines plus longues privés de leurs droits.
Cette décision ne convenait pas à Richard Sauvé, qui estimait que ses droits démocratiques étaient aussi importants que ceux de n’importe qui d’autre, malgré sa lourde peine de prison pour meurtre. M. Sauvé a réussi à contester la politique d’Élections Canada de priver les détenus du droit de vote en faisant valoir que l’exemption punitive n’est pas nécessaire pour protéger le bien-être de la population en général. La Cour a renforcé la disposition de la Charte selon laquelle tout Canadien âgé de plus de 18 ans a le droit de voter, acceptant également l’argument selon lequel le droit de vote inculque un sentiment d’identité et de dignité à tous les citoyens, quel que soit leur statut criminel.
PHS COMMUNITY SERVICES SOCIETY: ACCÈS À DES SERVICES VITAUX (2011)
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En 2003, la PHS Community Services Society de Vancouver a marqué l’histoire en ouvrant Insite, le premier site d’injection supervisé légal en Amérique du Nord. Insite permet aux membres de la communauté de s’injecter des narcotiques interdits par la loi réglementant certaines drogues et autres substances, mais l’opération a été jugée légale grâce à une exemption accordée par le ministre fédéral de la Santé. Il était entendu que les sites d’injection supervisés pouvaient réduire considérablement les cas de VIH/sida et d’hépatite C ainsi que les décès par surdose.
Le sort d’Insite a été remis en question en 2008 lorsqu’un nouveau ministre fédéral de la Santé a refusé la demande de renouvellement de l’exemption, malgré des preuves claires qu’Insite avait un impact positif sur la santé publique. Dans sa cause devant la Cour suprême en 2011, la PHS Community Services Society a démontré que la fermeture du site priverait les citoyens de soins de santé potentiellement vitaux, ce qui constituerait une violation du droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne» garanti par la Charte. Grâce à ce jugement, Insite continue de fonctionner, tout comme des dizaines d’autres sites d’injection supervisés à travers le pays.
Pour plus d’informations, visitez le site thewalrus.ca.