Loisirs et culture
La Maison Gilles Carle: la solution de partage de Chloé Sainte-Marie
� Pierre Dury Photographe : � Pierre Dury
Comment vous est venue l'idée de créer cet organisme sans but lucratif?
Cette solution m'est apparue par défaut parce que j'étais épuisée et sur le point d'abdiquer. Tout à coup, une nuit, j'ai eu cette vision. J'aurais aimé avoir eu cette idée plus tôt, mais ça n'a pas été le cas. Il faut être épuisée, déprimée et complètement au bord du gouffre pour en arriver à cela.
Parce qu'il n'est pas facile de décider d'ouvrir sa maison à d'autres et d'accepter qu'il y ait sans cesse du monde chez soi?
En effet. Quand on est en couple et qu'on aime sa vie à deux, il est difficile de décider de partager celle-ci avec d'autres. Mais à partir du moment où il y a des personnes qui viennent soigner son conjoint, il y a déjà des gens dans la maison: médecins, infirmières, préposés, ergothérapeutes, inhalothérapeutes. Et puis, il est triste d'être seule avec un malade. On a besoin de l'énergie des gens qui nous entourent. Les autres personnes malades amèneront leur famille, leurs amis, leur conjoint, et c'est ce dont j'ai besoin maintenant. Je n'ai plus la force de me consacrer seule à quelqu'un de malade.
Cette décision impliquait-elle de nombreux travaux?
J'ai quatre chambres au premier étage que je mets à la disposition de personnes semi-autonomes. Nous allons installer une chaise élévatrice et un bain thérapeutique, mais ce sont des aménagements que j'envisageais déjà de faire pour Gilles (Carle). Le salon va être agrandi, et il faut revoir le stationnement. Au fond, nous n'avons pas besoin de faire beaucoup de travaux, car la maison était déjà organisée pour mon conjoint. Depuis quatre ans, les préposés viennent chez nous quotidiennement, et tout est pensé en conséquence.
Le partage que cette maison vous permettra de faire va au-delà de l'aspect financier.
Nous allons partager les dépenses liées aux préposés, aux cuisiniers et à toute l'organisation nécessaire pour prendre soin de personnes malades. Mais plus que cela, l'idée, c'est aussi de regrouper les gens qui ont les mêmes intérêts. Quand on décide d'avoir un colocataire, qu'on vit au quotidien avec quelqu'un, c'est parce qu'on a des choses en commun avec cette personne. Quand on est malade, il est encore plus important d'avoir des affinités avec les autres gens malades.
La peinture, la lecture et la musique feront partie de la mission de la Maison Gilles Carle. Nous allons organiser des spectacles. Il y a des œuvres de Gilles sur les murs, le piano, la guitare. Mes préposés font la lecture à mon conjoint tous les jours. Nous ne prendrons pas des gens amateurs de bingo. C'est bien, le bingo, mais il n'y en aura pas car Gilles n'a jamais aimé ça.
Souhaitez-vous que ce projet soit repris ailleurs au Québec?
C'est un projet pilote que je propose au gouvernement. Le maximum acceptable pour une telle entreprise est d'accueillir six personnes malades. Au-delà de ce chiffre, c'est triste. En 17 ans, j'ai visité de nombreux centres d'hébergement et de soins de longue durée ainsi que des maisons privées de 30 à 500 unités; je sais de quoi je parle.
Le gouvernement fait-il preuve d'ouverture pour soutenir les aidants naturels?
L'aidant naturel est un esclave dans la société québécoise. Il n'est pas rémunéré et n'a aucune reconnaissance. C'est un scandale!
J'ai récemment discuté avec les chefs de cabinet de Jean Charest et de Lise Thériault, ministre déléguée aux Services sociaux. Je vais rencontrer Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés, très bientôt. J'estime que, selon leurs discours, qui mettent la priorité sur les soins à domicile, ils doivent nous soutenir. Ils doivent prêter main-forte aux aidants qui sont prêts à prendre soin d'autres personnes malades. C'est la solution qui peut nous donner du répit.
Depuis des années, vous vous impliquez beaucoup pour que les aidants naturels aient enfin le répit qu'ils méritent. À force de donner, parvenez-vous à recevoir aussi?
C'est une question qu'on ne se pose pas. Quand on vit avec une personne malade, il y a des questions qu'il ne faut pas se poser. Il ne faut même pas réfléchir. Comme disait Hubert Aquin: «Surtout, ne pas penser, agir!» C'est ce que je fais.
Lire aussi: Prendre soin d'un parent en perte d'autonomie