Vie de famille
Des enfants à deux vitesses
Des enfants à deux vitesses
Belle-Fille a un TDA. Pas de H. Elle vit à un autre rythme, un rythme qui lui appartient.
Celui effréné du quotidien la bouscule. Elle s’arrête pour sentir les fleurs et perdrait les membres de son corps s’ils n’étaient pas si bien attachés à son tronc. Elle danse spontanément, dans une allée bondée de l’épicerie et fonce dans un support à vélo parce qu’elle contemple le ciel. Sa notion du temps est élastique et son attention papillonne. Elle voit le beau là où personne ne le remarque parce qu’elle est la seule qui prend le temps de regarder. Et elle est encadrée à l’école comme à la maison pour réussir malgré ce qu’ils appellent un « trouble ».
Fiston a un réacteur dans le péteux. Ça ne va jamais assez vite, assez loin, assez haut. H au carré. Il est trop tôt pour parler de TDA, mais à regarder Chéri – TDAH au cube – je vois le diagnostic venir avec ses gros sabots. Nous sommes les parents au parc dont le fils est toujours su’l bord de se péter la gueule. Il grimpait l’échelle du lit mezzanine de sa sœur à neuf mois (vidéo à l’appui!). Il se lance sciemment en bas des meubles, en constante quête d’émotions fortes, du haut de ses seize mois plein d'ecchymoses.
Crédit : Manal Drissi
Une journée avec les deux est déroutante. Notre temps en famille était, jusqu’à récemment, passé à crier « dépêche-toi! » à l’une et « attends! » à l’autre. Si bien que l’une était sans cesse stressée et l’autre ne disait que trois mots : maman, papa, attends.
Leurs rythmes opposés nous faisaient perdre la tête. Puis un soir, alors qu’on pleurait des larmes d’épuisement après une journée chaotique, on s’est demandé si l’on s’y prenait de la bonne façon. Et si, en dehors des heures d’école et de garderie, en dehors des obligations du quotidien, on les laissait « être » à leurs rythmes respectifs, pour voir. Et si on adoptait le leur quand ils ne sont pas obligés de prendre le nôtre. #lâcherprise
Au lieu de dire à Belle-Fille de se dépêcher, on prévoit désormais à l’horaire qu’elle va prendre son temps. Ses responsabilités et ses tâches sont demeurées les mêmes, mais le temps alloué prend en compte qu’elle s’arrêtera pour lire un livre en faisant le ménage de sa chambre, et qu’elle voudra prendre le temps de tout observer sur notre route vers quelque part.
Crédit : Manal Drissi
Au lieu d’essayer de faire asseoir Fiston devant des jeux calmes, on laisse libre cours à son besoin de vivre à vitesse grand V. À la maison, on lui improvise des obstacles à grimper et des bébelles à éparpiller. À l’épicerie, il pousse le chariot, court dans les allées et rit aux éclats. Dans la rue, il marche en funambule sur les murets de béton et au parc, il fait des câlins aux inconnus et descend les glissades tête première (de sa propre initiative, je précise).
Depuis que nous avons lâché prise, tout prend une éternité à accomplir tout en allant à cent miles à l’heure. Et c’est parfois difficile de refouler notre réflexe de les ramener à notre rythme. Mais ils sont beaux à voir aller quand on les laisse être. Même si des fois on voudrait donner du speed à l’une et un joint à l’autre. #jokequipassejuste
Même si en public, c’est difficile de rester unis parce que l’un de nous deux chaperonne l’artiste pendant que l’autre veille à la survie du cascadeur. Nous sommes tout aussi épuisés à la fin de la journée que quand on leur disait de se dépêcher et d’attendre, mais ô combien plus zen.
Lâcher prise, c’est salvateur. Pour environ vingt secondes. Pis tu réalises que c’est silencieux depuis trop longtemps et tu croises les doigts pour que personne ne se soit coupé les cheveux.
Crédit : Marie-Pier Valiquette photographe