Santé

Faut-il se faire soigner au privé?

Faut-il se faire soigner au privé?

Istockphoto.com Photographe : Istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

Les cliniques de santé privées soulèvent bien des débats. Au-delà de la politique, que nous offre ce réseau médical parallèle?

Les maux du réseau de santé public ne sont plus à démontrer: longues listes d'attente pour rencontrer un spécialiste, médecins de famille pratiquement impossibles à trouver et urgences pleines à craquer. Face à ces difficultés, des cliniques de santé privées se développent au Québec depuis la fin des années 1990. Et de plus en plus de médecins y pratiquent: ils étaient 56 en 2001 et 208 en janvier 2011, selon la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ).

Geneviève a commencé à consulter au privé il y a environ sept ans. «Mon dossier médical était dispersé dans des cliniques sans rendez-vous, des bureaux de gynécologue et des urgences, dit cette travailleuse de l'édition de 32 ans. Je voulais tout ramener chez un seul médecin de famille afin d'avoir une vision globale de ma santé. Je me suis tournée vers le privé parce que je ne trouvais personne au public.»

Une consultation d'une vingtaine de minutes lui coûte au moins 80$, mais cela reste rentable, juge-t-elle. «Je peux rencontrer mon médecin le jour même si j'ai une urgence: je n'ai donc pas besoin de m'absenter du travail pendant des heures pour aller attendre dans une clinique sans rendez-vous.» Geneviève admet toutefois qu'elle ferait peut-être d'autres choix si elle souffrait d'une maladie chronique nécessitant de nombreux rendez-vous chez le médecin. «Cela coûterait beaucoup trop cher», dit-elle.

Le privé peut sembler une bonne solution pour contourner un réseau public engorgé, mais, avant d'ouvrir notre portefeuille, que faut-il savoir? Survol en 10 questions.

 

1. Qu'est-ce qu'un service de santé privé?

C'est un service pour lequel on paie de notre poche plutôt qu'avec notre carte de la RAMQ. C'est le cas, notamment, quand on va chez le dentiste ou chez le physiothérapeute. On peut aussi se tourner vers le privé pour des soins qui existent déjà dans le système public, pour diverses raisons: temps d'attente trop long, aucun accès à un médecin de famille, préférences personnelles, etc.  

 

2. Quels sont les soins disponibles?

En règle générale, «les cliniques privées offrent des services de soins légers, comme des vaccins et des examens avec un médecin de famille», dit le Dr Alain Vadeboncoeur, vice-président de l'association Médecins québécois pour le régime public, un regroupement de médecins qui revendiquent, entre autres, un meilleur accès au régime public. On y offre aussi des examens gynécologiques, un service d'urgence, le traitement de certaines maladies mentales (dont l'anxiété), des cliniques de vaccination, des tests comme l'électrocardiogramme, le renouvellement d'ordonnances et des chirurgies mineures, comme l'ablation d'un grain de beauté. Le bilan annuel figure parmi les services les plus populaires. Certaines opérations, comme celles du genou et de la hanche, sont aussi offertes au privé, mais, dans ces deux cas, il s'agit de mesures exceptionnelles afin de désengorger le réseau public. C'est alors la RAMQ qui décide de nous envoyer au privé et qui assume les frais. Par contre, «au Québec, le privé n'offre pas de soins spécialisés comme les traitements anticancéreux, les chirurgies cardiaques ou la transplantation d'organes, dit Régis Blais, directeur du département d'administration de la santé de l'Université de Montréal. Les investissements seraient beaucoup trop importants pour une firme privée.»

 

3. Quel est le coût des soins au privé?

Il faut généralement débourser entre 50$ et 100$ par 10 minutes de consultation. Certaines cliniques réclament, en sus, des frais d'ouverture de dossier ou d'abonnement qui vont de 35$ à 250$. Plusieurs cliniques offrent aussi des forfaits. Par exemple, le forfait Couple du Groupe Medi-Ressources, à Trois-Rivières, comprend deux bilans de santé, quatre consultations médicales et un accès téléphonique à un médecin en tout temps. Prix: 2 500$ par année pour le couple.

Il est toutefois difficile de faire une moyenne des tarifs proposés. Ainsi, à Québec, la clinique Médicina offre un bilan de santé de 30 à 45 minutes avec une transmission téléphonique des résultats à 195$ pour ses membres et à 225$ pour les non-membres. À la clinique Varad, au centre-ville de Montréal, une échographie foetale peut coûter environ 150$. Et chez Médi-Ressources, une batterie d'analyses sanguines et d'urine va chercher dans les 200$.

 

4. Les assurances complémentaires remboursent-elles les frais engagés?

Oui et non. Elles ne remboursent pas les actes médicaux déjà couverts par la RAMQ, comme un accouchement, le drainage d'un abcès ou une greffe osseuse, par exemple. «Elles couvrent généralement les dépenses qui ne sont pas remboursées au public, explique Yves Millette, vice-président principal aux Affaires québécoises à l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes: par exemple, une chambre privée dans un hôpital, une séance de physiothérapie ou un transport en ambulance.»

Il y a toutefois deux exceptions: les tests (comme les scans et les analyses sanguines) et les opérations de la hanche, du genou et des cataractes sont remboursés par la RAMQ ou par nos assurances complémentaires. «Dans ces cas, si vous faites affaire au privé, ce sont vos assurances qui paient, dit Yves Millette. Si vous faites affaire au public, c'est la RAMQ.» Enfin, dans le cadre du Programme québécois de dépistage du cancer du sein, les femmes âgées de 50 à 69 ans ont accès à des mammographies gratuites dans les 92 centres de dépistage désignés, qu'ils soient publics ou privés.

 

5. Qui travaille au privé?

Les cliniques ont généralement à leur emploi entre un et cinq omnipraticiens et quelques infirmières. Elles comptent souvent d'autres professionnels de la santé, comme des nutritionnistes ou des physiothérapeutes.

Au Québec, les médecins sont les seuls professionnels de la santé payés par la RAMQ, et un médecin ne peut pas exercer à la fois au privé et au public. Ceux qui choisissent le privé sont déclarés non participants par la RAMQ. Leurs honoraires proviennent de leurs patients et non de l'État. «Les autres professionnels de la santé sont rémunérés par leur employeur, qu'il soit public ou privé», explique Marc Lortie, responsable des relations de presse à la RAMQ.

Si on nous demande notre carte d'assurance-maladie ET notre carte de crédit au même endroit, on devrait se poser des questions. Pour s'assurer que le médecin d'une clinique privée est non participant, on consulte la liste des médecins désaffiliés sur le site de la RAMQ (voir Pour en savoir plus). S'il n'y est pas, on ne devrait pas avoir à payer pour le voir. «Dans notre système, un médecin ne peut pas porter les deux chapeaux (public et privé) simultanément», affirme Marc Lortie. Mentionnons que certaines cliniques privées brouillent les cartes en embauchant à la fois des médecins participants et non participants. Cette pratique est discutable et fait présentement l'objet d'une enquête à la RAMQ.

 

6. Quels sont les avantages du privé?

Des médecins (et des résultats) accessibles plus rapidement. Si on est membre d'une clinique privée, on a généralement accès à notre médecin dans un court délai, ce qui n'est pas toujours le cas au public. Sauf exception, on obtient un rendez-vous dans les 24 à 48 heures. Les urgences sont traitées encore plus rapidement.

On se sent moins pressée. En règle générale, les médecins du privé passent plus de temps avec chacun de leurs patients. Comme c'est nous qui payons, libre à nous, si notre budget le permet, de passer 30 minutes à poser toutes les questions qui nous inquiètent. «Depuis que j'ai ouvert ma clinique, j'exerce davantage la médecine qu'on m'a enseignée à l'université, estime la Dre Annick Reid, médecin de famille qui a travaillé 12 ans au public avant de fonder une clinique à Blainville. Je vais plus en profondeur. Avec un patient atteint d'une douleur chronique, par exemple, je revois l'ensemble de ses symptômes ainsi que les traitements actuels et passés, puis je lui explique ses options.»

Au public, c'est plus difficile parce que les médecins ont habituellement moins de temps à consacrer à chaque patient. Les cliniques sont engorgées et les listes d'attentes, interminables. De plus, comme les médecins sont rémunérés à l'acte, plus ils voient de patients, plus leur salaire est élevé. Certains peuvent alors être tentés de recevoir beaucoup de patients, quitte à leur accorder moins de temps. Dans les deux cas, le patient peut être pénalisé: un médecin qui prend tout son temps créera un temps d'attente plutôt long pour ses patients, alors que celui qui va à la vitesse de l'éclair risque de ne pas nous permettre de poser plus de deux questions sur notre état.

Un meilleur accès aux spécialistes. Habituellement, les cas urgents se retrouvent en tête sur les listes d'attente des médecins spécialistes. Mais «quand un omnipraticien, qu'il soit au public ou au privé, téléphone à un spécialiste, cela hâte les choses, dit la Dre Reid. Malheureusement, au public, ils ont moins le temps de le faire.» C'est le genre d'extra qui fait généralement partie du forfait d'une clinique privée.

Une meilleure centralisation de nos infos médicales. Si on change de clinique sans rendez-vous au fil des disponibilités, notre dossier médical sera éparpillé et il sera difficile pour les médecins qui s'occupent de notre cas d'avoir toute l'information sur notre santé. Au privé (comme au public si on a un médecin de famille et que celui-ci est disponible pour nous), toute notre information médicale est conservée au même endroit, nous assurant un meilleur suivi.

 

7. Quels sont les inconvénients du privé?

Une facture à payer. Elle peut grimper vite, surtout si on a besoin d'utiliser fréquemment les services. À cela s'ajoutent les frais d'administration. Plusieurs cliniques exigent des frais pour l'ouverture du dossier ainsi que des frais annuels pour être membre. On peut acheter les services d'une clinique sans en être membre, mais cela coûte plus cher et cela limite l'accès aux médecins. «Nous privilégions nos membres», reconnaît Pierre Morin, administrateur du Centre Hygie, une clinique privée à Saint-Jean-sur-Richelieu. Selon la RAMQ, la pratique est légale si les soins sont octroyés par des médecins non participants à la RAMQ.

Des examens parfois inutiles. Au-delà des soins, les cliniques privées cherchent aussi à être rentables. Il y a donc un risque qu'elles nous vendent des examens dont nous n'avons pas besoin. Certains bilans de santé au privé durent une demi-journée et comprennent une douzaine de tests, dont un électrocardiogramme. Or, «une personne de 40 ans sans problème cardiaque n'a pas besoin d'un électrocardiogramme», dit le Dr Louis Godin, président-directeur général de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Il faut quand même attendre un peu. Des délais plus courts ne signifient pas qu'il n'y en ait aucun. Rencontrer un spécialiste, même au privé, demande parfois du temps. «J'ai patienté quelques semaines avant d'obtenir un rendez-vous avec un allergologue», dit Geneviève. C'est toutefois bien moins long qu'au public, où il faut de 4 à 12 mois pour en voir un, selon l'Association des allergologues et immunologues du Québec. De plus, certaines cliniques privées ont elles aussi des listes d'attente et affichent complet. Ce n'est pas parce qu'on est disposée à payer que les cliniques auront de la place pour nous.

À long terme, encourager le privé nuira probablement au système de santé public. «D'un point de vue individuel, le privé est avantageux pour les médecins et pour leurs clients parce qu'il permet de consacrer plus de temps à chaque cas, dit le Dr Vadeboncoeur. D'un point de vue social, par contre, cela affaiblit notre système de santé.» En effet, chaque fois qu'un médecin quitte le public pour aller au privé, il reste moins de médecins pour s'occuper de la population. Une drôle de solution quand le réseau public manque déjà de médecins! Cela dit, consulter un médecin de manière préventive, au privé comme au public, peut éviter des traitements plus importants à long terme.

 

8. Qui a le plus et le moins avantage à faire affaire au privé?

«Le privé est particulièrement indiqué si votre médecin de famille au public n'est pas disponible alors que vous avez une urgence, si votre temps vaut très cher ou si vous voulez faire le point sur un problème de santé qui vous dérange depuis longtemps et pour lequel vous avez déjà vu plusieurs spécialistes sans succès, comme un mal de dos ou des migraines», estime la Dre Reid. En effet, un médecin au privé a le temps de faire le tour des traitements qu'on a essayés et des options possibles. Le privé est aussi une option intéressante si on ne trouve pas de médecin de famille et qu'on peut se permettre de payer pour en consulter un. À l'inverse, «les personnes atteintes d'une condition chronique n'ont guère intérêt à consulter au privé, parce que cela risque de leur coûter cher», estime Régis Blais.

 

9. Notre dossier médical nous suit-il si on navigue entre le privé et le public?

Oui. Qu'on soit dans le cabinet d'un médecin public ou privé, il est encadré par les règles du Collège des médecins. «Un des droits du médecin, c'est d'avoir accès au dossier de ses patients», dit la Dre Marie-Chantale Rivard, médecin de famille qui a travaillé 17 ans au public avant de fonder une clinique privée à Laval. Il suffit de demander à notre médecin au public de récupérer notre dossier en lui donnant les coordonnées de la clinique ou du laboratoire privé où on a reçu des soins. L'inverse est aussi possible: un médecin au public qui ne peut plus nous suivre peut acheminer notre dossier à un médecin du réseau privé si ce dernier en fait la demande par notre entremise.

Dans tous les cas, on peut récupérer une copie de notre dossier ou de nos résultats d'examen et les donner au médecin de notre choix, qu'il soit au public ou au privé. On peut par ailleurs s'assurer auprès de notre médecin traitant que les résultats de nos tests se sont bien rendus (et lui demander en même temps ce qu'il en pense).

 

10. La qualité du service est-elle la même au public et au privé?

«Tous les médecins suivent la même formation et respectent le même code de déontologie, qu'ils travaillent au public ou au privé», dit le Dr Godin. «La qualité des soins au fil des années repose sur deux variables principales: la stabilité de l'équipe médicale et les suivis», ajoute François Béland, professeur au département d'administration de la santé de l'Université de Montréal et codirecteur du livre Le Privé dans la santé: le discours et les faits. Si on consulte la même clinique depuis plusieurs années et que les professionnels font bien leurs suivis, on aura un dossier étoffé qui nous assurera des soins adaptés à nos besoins. «Or, cela se trouve autant au public qu'au privé», dit François Béland.

 

Les coopératives de santé sont-elles des services privés?

De quoi s'agit-il exactement? «Les soins des coopératives de santé sont payés par la RAMQ et accessibles à tout le monde, que l'on soit membre ou non de la coopérative», dit J. Benoit Caron, directeur général de la Fédération des coopératives de services à domicile et de santé du Québec. Certaines réservent par contre quelques services à leurs membres, comme des conférences sur la nutrition ou des rabais sur une visite à un professionnel de la santé non rémunéré par la RAMQ, comme un psychologue.

 

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