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Cancer du sein: tout n’est pas rose

Cancer du sein: tout n’est pas rose

Istockphoto.com Photographe : Istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

La plupart des femmes se sentent concernées par le cancer du sein et l’expriment en achetant des produits à l’effigie du célèbre ruban, censés amasser des fonds pour lutter contre la maladie. Dans L’Industrie du ruban rose, la cinéaste Léa Pool et son équipe nous présentent l’envers du décor.

Lorsqu'elle a reçu son diagnostic, Ravida Din, productrice à l'Office national du film du Canada (ONF), s'est intéressée de près au cancer du sein, qui fait 59 000 victimes chaque année au pays. Au cours de ses recherches, elle a découvert un livre choc: Pink Ribbons Inc. - Breast Cancer and the Politics of Philantropy, écrit par Samantha King, professeure en éducation à la santé à l'université Queen's, en Ontario. L'auteure y démontre que l'engagement contre le cancer s'est peu à peu transformé en un marketing effréné du ruban rose.

En effet, nous choisissons d'acheter vêtements, cartes de souhaits, essence, batterie de cuisine ou produits personnels arborant le ruban rose afin que quelques sous contribuent à lutter contre le cancer du sein. Dans la foulée, nous sommes aussi très nombreuses à participer aux marches et marathons organisés par de grandes compagnies pour soutenir nos proches et nos connaissances touchées par ce cancer. Dans cette surenchère de consommation et d'émotion, qu'en est-il de l'objectif premier? La recherche avance-t-elle? Mandatée par l'ONF et sa productrice, la réalisatrice Léa Pool (Emporte-moi, Femmes, Une histoire inédite) a fait enquête et répond ici à nos questions.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet?

Comme tout le monde, je connais des femmes atteintes du cancer du sein, dont certaines sont décédées. J'avais aussi conscience d'une certaine overdose de rose au mois d'octobre. Le livre de Samantha King m'a démontré les contradictions de la philanthropie du ruban rose. Toute cette consommation de produits concourt à donner une belle image aux grandes entreprises plus qu'à mener une réelle recherche pour trouver un remède au cancer et surtout, pour le prévenir.

De quelle manière les entreprises construisent-elles cette image?

Les campagnes pour amasser des fonds ciblent majoritairement les femmes, extraordinaires par leur capacité à se rassembler et à se solidariser. Responsables de 80% des décisions d'achats pour la maison et désireuses de soutenir d'autres femmes, les consommatrices nord-américaines choisissent donc les produits roses. On les sollicite aussi pour participer aux marches, des happenings très festifs qui attirent des foules. On promet qu'un certain pourcentage des profits sera consacré à la recherche d'un remède au cancer du sein. Qui peut être contre ça?

En quoi cette philanthropie nuit-elle?

En mettant l'accent sur l'image des compagnies qui donnent de l'argent pour leur propre profit. En anglais, on appelle cela le pinkwashing. Par exemple, à New York, j'ai filmé une marche de sensibilisation au cancer du sein financée par un fabriquant de cosmétiques. On voyait le nom de cette compagnie en très gros, mais jamais le mot «cancer». C'était la fête! En plus, à l'arrivée, on distribuait des vernis à ongles soupçonnés d'être cancérigènes. Pire, on invitait les enfants à dessiner avec! On voit tout de suite la contradiction.

Mais l'argent amassé ne va-t-il pas à la recherche?

Justement, les intérêts de certaines entreprises font que l'on cherche un remède au lieu de travailler à trouver les causes de la maladie. Par exemple, quand les compagnies pharmaceutiques soutiennent les levées de fonds, peut-on garantir que les sommes recueillies iront à la prévention? Sur tous les montants amassés pour le cancer du sein, 15% va à la recherche sur la prévention. N'ont-elles pas plutôt intérêt à médicaliser la population? Autre exemple: une compagnie de crédit s'engage à verser 1 cent par transaction pendant le mois d'octobre. Or, pour amasser 1$, le détenteur de la carte devra l'utiliser 100 fois durant le mois. Ça ne fait vraiment pas grand-chose au bout du compte. Finalement, le pinkwashing a pour effet de détourner l'agenda de la recherche: c'est là que l'on doit s'inquiéter.

Comment les victimes du cancer perçoivent-elles l'industrie du ruban rose?

Elles trouvent indécent que l'on récolte de l'argent pour lutter contre le cancer tout en continuant à fabriquer des cosmétiques, de la nourriture (des chaînes de restaurant font des collectes de fonds) ou toute autre marchandise qui contient ou libère dans l'environnement des produits chimiques dangereux. De plus, bien des femmes atteintes ne se sentent pas concernées par ces campagnes, mais plutôt laissées en marge. Je voulais leur donner une voix. Je pense à ce groupe de femmes au stade 4 (dont le cancer a maintenant atteint d'autres parties du corps) interviewées dans le film, qui n'adhèrent pas du tout au mouvement du ruban rose. Elles trouvent trompeuse cette mythologie qui transforme les malades en combattantes victorieuses, et dénoncent cette tyrannie du bonheur. Car le cancer n'est pas une bénédiction: ce n'est pas plaisant et il faut pouvoir le dire.

Estimez-vous les marches et événements contre le cancer encore utiles?

Bien sûr! Nous ne souhaitons pas que les femmes arrêtent de marcher, ni les culpabiliser parce qu'elles s'engagent avec sincérité. Et on a besoin de cet argent. Mais on aimerait qu'elles posent des questions. Plutôt que de nous laisser impressionner par les moyens des grandes entreprises, nous devons être critiques. Par exemple, au cours des 12 dernières années, une multinationale a illuminé de rose, en grande pompe, 200 monuments dans le monde, comme Big Ben, le Parlement d'Ottawa, les chutes du Niagara, l'Empire State Building, soi-disant pour sensibiliser le public. Or, j'ai assisté à certaines de ces cérémonies, et il n'y avait personne! On fait de beaux discours, on dépense beaucoup d'électricité pour des événements qui font parler de l'entreprise, mais qui ne servent pas à financer les recherches. Ne doit-on pas dénoncer tout ce gaspillage?

Le film L'Industrie du ruban rose sort en février partout au Canada et au Québec. Infos: www.onf.ca.

Quelques statistiques

  • En 1940, les risques pour une femme de recevoir un diagnostic de cancer du sein étaient de 1 sur 22. En 2011, c'est 1 sur 8.

  • Seulement 5% des fonds amassés pour le cancer de sein sont consacrés à la recherche sur les causes environnementales liées à ce cancer.

  • En 1996, une poignée d'entreprises participaient aux campagnes du ruban rose de la fondation Susan G. Komen for the Cure, l'intervenant le plus important dans ce domaine aux États-Unis. Aujourd'hui, 176 compagnies figurent au conseil d'administration de cet organisme.

Ces statistiques valent pour l'Amérique du Nord. Source: ONF.


Une solution pour optimiser la recherche

Barbara A. Brenner, une activiste elle-même atteinte du cancer du sein, est interviewée par Léa Pool dans L'industrie du ruban rose. Longtemps présidente de la Breast Cancer Action, à San Francisco, elle juge les recherches actuelles mal coordonnées, souvent reproduites par plusieurs chercheurs sans concertation ni coordination. Puisque l'État subventionne énormément les recherches pharmaceutiques, chez nous comme aux États-Unis, elle propose que les gouvernements reçoivent une partie de l'argent récolté lors des événements, qui retournerait à la recherche et au soutien des malades.

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