Couple
Se séparer sans tout casser
Michèle avait 19 ans et Gérard, dix de plus. Ils se sont aimés, mais au bout de 13 ans, la jeune femme en a eu assez. «C'était une relation très conflictuelle. Nous nous chicanions sans cesse. La différence d'âge n'aidait pas non plus. Et nous avions des opinions divergentes sur des éléments importants: il voulait des enfants, moi, je n'étais pas encore prête pour ça», se souvient Michèle, qui a aujourd'hui 37 ans.
Paradoxalement, autant leur couple avait été marqué par les disputes, autant leur séparation s'est faite en douceur. «Ça n'a pas été facile au début. Gérard était encore très amoureux et ne voulait pas se séparer. On a procédé par étapes et le détachement s'est effectué progressivement. Nous avons commencé par cesser de cohabiter, tout en continuant à nous voir régulièrement. Il a bien essayé de me reconquérir, et il a beaucoup changé durant cette période, mais j'ai résisté, car j'avais réalisé que nous n'étions tout simplement pas compatibles sur le plan amoureux», raconte Michèle. Le temps a passé. Michèle a rencontré un autre homme, avec qui elle s'est mariée et a aujourd'hui trois enfants. Gérard a lui aussi refait sa vie. «Nous sommes toujours amis, même si nous nous voyons moins souvent. Il est même venu à mes noces et je suis la marraine d'un de ses enfants!» s'exclame-t-elle, heureuse que leur rupture ait débouché sur une amitié.
Se séparer... pas simple pour tous
L'histoire de ces ex-amants devenus amis est malheureusement l'exception plutôt que la règle. Bien souvent, ce sont plutôt l'amertume et les récriminations qui suivent, tel un sinistre cortège, les conjoints séparés. Isabel, 37 ans, raconte que son ex-conjoint lui en a fait voir de toutes les couleurs: «Ç'a été extrêmement difficile et houleux les premiers temps. Il ressentait beaucoup de colère, il voulait me punir, me faire payer. Toutes les discussions finissaient en chicanes. Il me menaçait d'aller en cour, me disait: "Tu vas voir, ça va te coûter cher!" Mais peu à peu, il s'est apaisé et a fini par accepter la situation. Ça a tout de même pris trois ans. Aujourd'hui, on est capables de se parler, de faire des compromis. On a même visité des écoles ensemble pour l'entrée au secondaire de notre fils! Mais l'harmonie demeure fragile. On fait attention et on essaie d'éviter les sources de tension», témoigne-t-elle.
Réussir sa séparation
Ces deux exemples montrent qu'on peut, avec plus ou moins de heurts, réussir notre séparation malgré l'échec de notre couple. Qu'est-ce qu'une séparation réussie? Pour Linda Bérubé, travailleuse sociale, médiatrice, fondatrice de l'Association de médiation familiale du Québec et auteure de Rompre sans tout casser, «une séparation est réussie lorsque chacun a pu traverser le processus dans le respect de soi-même, malgré la souffrance».
Mais comment se montrer zen lorsque la colère ou la tristesse nous aveugle? Sylvie, 33 ans, aurait bien aimé rayer son ex de la carte après qu'il lui eut dit qu'il ne l'aimait plus, mais deux jeunes enfants lui rappellent qu'elle aura des échanges avec lui pour longtemps encore. «C'est quelqu'un avec qui je dois discuter constamment à cause des enfants. Si on se chicane chaque fois, ce sera désagréable pendant longtemps. Et ça ne va pas le ramener», dit-elle. «Une cliente m'a déjà dit: "Je n'ai pas choisi de me séparer, mais je veux choisir la manière dont je vais vivre cette séparation." Elle était déterminée à ne pas saboter la richesse du vécu de son union», souligne Linda Bérubé.
Geneviève, pour sa part, est parvenue à conserver avec son ex-conjoint, père de son fils de quatre ans, une relation relativement harmonieuse, après qu'ils se furent séparés d'un commun accord. «Son attitude m'énerve parfois, mais je ne le déteste pas pour autant. C'est une bonne personne, même si ce n'est pas la personne pour moi», constate-t-elle, sereine. Il faut dire qu'elle avait vu les choses venir. «Je savais que notre union allait se terminer tôt ou tard, car nous étions incompatibles. Au fond, j'avais commencé à faire mon deuil durant la relation», dit-elle. Elle n'a donc pas vécu la séparation comme un choc.
Cela dit, cette démarche est généralement plus facile pour le conjoint qui met fin à la relation que pour celui qui reçoit la nouvelle. En effet, même si les experts sont d'avis que la souffrance est la même pour les deux conjoints, il reste que celui ou celle qui apprend la nouvelle est désavantagé. «C'est un peu comme quelqu'un qui se trouve encore en haut d'une falaise, alors que l'autre est déjà rendu en bas et commence à remonter de l'autre côté», note Félix Arsenault. «C'est généralement plus facile pour celui qui part, car il a déjà cheminé intérieurement», confirme Yves Dalpé, psychologue.
Réaliser que la fin du couple est peut-être la fin d'un monde, mais certainement pas la fin du monde aide à remettre les choses en perspective. Mais cela exige de la maturité. Or, «la maturité, ça ne s'achète pas chez Zellers! plaisante Jean-Claude Plourde, travailleur social et médiateur familial. Elle vient quand on prend conscience des causes de l'échec du couple. Il faut identifier ses insatisfactions, ses frustrations, essayer de comprendre ce qui n'a pas fonctionné et cesser de jeter le blâme sur l'autre. Sans cette prise de conscience, on est condamné à répéter les mêmes erreurs dans la relation suivante», prévient-il. Ceux et celles qui ne tirent pas les leçons de cette expérience revivront les mêmes problématiques, insiste Yvon Dallaire, psychologue et auteur de nombreux ouvrages sur le couple: «Ce n'est pas pour rien que 65 à 75 % des deuxièmes mariages finissent en divorce et que 75 à 85 % des troisièmes unions se terminent de la même façon.»
Comment se manifeste cette maturité émotionnelle? D'abord en évitant les attitudes revanchardes et de victimisation. «Sauf exception, les deux conjoints sont co-responsables de l'échec ou du succès de la relation. Dans un couple, chacun est une sorte de co-réalisateur. Ceux qui réussissent [leur relation ou leur séparation] sont ceux qui acceptent de prendre leurs responsabilités par rapport à leur propre existence», dit Yvon Dallaire. En effet, lorsqu'on cesse d'accuser l'autre de l'échec amoureux, les choses tendent à s'apaiser.
Selon Félix Arsenault, travailleur social et médiateur familial, certaines personnes se séparent physiquement, sans réussir à le faire psychologiquement. «Dans ce cas, on demeure toujours des conjoints, et on continue à vivre les mêmes difficultés qu'avant, même si on est censés être séparés. Un bon exemple de ce phénomène, ce sont les gens qui sont divorcés depuis 10 ans, mais qui sont en conflit sur tout, comme s'ils étaient encore en couple.»
Autrement dit, se séparer, c'est accepter la mort du couple et de ce qui a été, c'est en faire son deuil. «Il y a effectivement plusieurs points communs entre le deuil et la séparation», affirme Marie Deschambault, travailleuse sociale et médiatrice familiale. Au départ, il y a toujours le déni, le refus de la situation. Ensuite, c'est la colère contre l'autre, contre soi-même, envers les amis communs. Puis on passe à l'acceptation et finalement à la reconstruction. Il est crucial de vivre toutes ces étapes, et d'aller consulter si on a de la difficulté à le faire», conseille-t-elle. L'aboutissement de ce travail: «La capacité de lâcher prise. Il faut accepter que l'ex-conjoint puisse souhaiter avoir une autre vie, et également se le permettre à soi-même», estime Marie Deschambault.
Combien de temps faut-il pour se remettre de la séparation? On parle généralement d'une transition de deux à cinq ans. Mais cela peut prendre bien plus de temps pour certains. «Une personne rigide, qui a du mal à s'adapter au changement, aura plus de difficulté à retomber sur ses pieds. En revanche, ce sera plus facile pour celles qui font preuve de résilience et de flexibilité», indique la psychologue Germaine Beaulieu.
Séparés, mais parents à vieLe processus de séparation est-il plus difficile lorsqu'il y a des enfants? Même si cela reste du cas par cas, c'est généralement plus douloureux, angoissant et culpabilisant. «Il est plus facile de vivre la séparation et de passer à autre chose quand on n'a plus à entrer en contact avec son ex-conjoint, Or, quand il y a des enfants, il faut continuer à le revoir pendant des années», remarque Yves Dalpé. De plus, si une guerre éclate entre les parents, c'est la progéniture qui écope.
Caroline a été mariée durant 13 ans et a eu deux enfants. Quand elle découvre peu à peu que son mari est un jaloux possessif et contrôlant, elle tombe de son nuage et décide de divorcer. Commence alors un calvaire, car son ex se livre à des mesures de représailles, notamment en demandant la garde partagée des enfants alors qu'il ne s'était jamais occupé d'eux. «C'était uniquement pour ne pas avoir à payer de pension», estime Caroline. Or, durant son tour de garde, il laisse les jeunes sans surveillance à la maison, sort le soir et ramène des femmes chaque fois différentes. Un jour, il frappe sa fille, qui appelle la police et se réfugie chez sa mère. Depuis ce jour, elle refuse de le voir. Quant à son fils, le droit de visite a été limité à une fin de semaine sur deux, mais le jeune garçon vit un stress considérable.
Le cas de Caroline est heureusement un extrême, mais il fait ressortir à quel point les parents doivent être tout particulièrement attentifs à protéger leurs enfants, malgré leurs dissensions. «Il est primordial d'éviter les gestes d'hostilité et de ne pas utiliser les enfants comme un outil de négociation», dit Germaine Beaulieu, qui exhorte aussi les ex-conjoints à ne pas prendre leurs jeunes comme confidents. «On est honnête et on ne nie pas les choses, mais on ne fait pas le procès de l'autre parent», soutient-elle.
Il faut également garder en tête qu'on reste des parents même si on n'est plus un couple. «Les enfants ont besoin de leur mère et de leur père, même s'ils ne vivent plus ensemble. On se sépare, mais on ne divorce pas de son rôle de parent», fait valoir Jean-Claude Plourde. D'ailleurs, pour Yvon Dallaire, un divorce est réussi lorsque les deux parents parviennent à demeurer des alliés, même séparés.
D'ailleurs, pas question que chacun le fasse de son côté, en catimini: tous les experts consultés conseillent d'annoncer la nouvelle de la séparation ou du divorce aux enfants ensemble. «Même si ç'a été difficile, c'est ce que nous avons fait, explique Sylvie. Nos enfants sont encore jeunes. Alors, il était important d'utiliser des mots qu'ils allaient comprendre. D'un commun accord, on a évité de parler de séparation. On a plutôt expliqué que papa et maman allaient vivre dans des maisons différentes», explique-t-elle.
Au quotidien, pour limiter les contacts avec son ex - et les conflits potentiels -, il peut être une bonne idée que le passage des enfants d'un parent à un autre se fasse dans un lieu neutre. Plusieurs optent par exemple, pour l'école ou la garderie. Dans ce cas, les ex-conjoints ne sont même pas obligés de se croiser, si l'un dépose l'enfant le matin et que l'autre vient le chercher en fin de journée.
Mais quoi qu'on fasse, une séparation ou un divorce restera toujours un événement douloureux. On peut toutefois en sortir grandi, plus conscient des erreurs à ne plus commettre. Et qui sait, peut-être tirer profit de ces connaissances nouvelles au sein d'une deuxième union! Comme le dit un vieux dicton: «L'expérience est une chandelle qui n'éclaire que celui qui la porte.»
Séparation: aller en médiation
Plusieurs experts estiment que la médiation familiale contribue au succès de la séparation, et chaque année au Québec, près de 12 000 couples entreprennent des démarches en ce sens. La médiation est un mode de résolution des conflits qui fait appel à un médiateur professionnel impartial. Ce dernier intervient auprès des conjoints pour les aider à négocier une entente équitable et viable, répondant aux besoins de chacun des membres de la famille et faisant l'objet d'un consentement libre et éclairé. Généralement, la médiation se conclut par la rédaction d'un projet d'entente. Les couples avec enfants peuvent se prévaloir de six séances de médiation gratuites lors de la négociation et du règlement de leur demande de séparation, de dissolution d'union civile, de divorce, de garde d'enfants, de pension alimentaire ou de révision d'un jugement existant. Avocats, notaires, psychologues, travailleurs sociaux, psychoéducateurs peuvent être accrédités par leur ordre professionnel pour faire de la médiation familiale.
À noter que les experts conseillent de faire le deuil de la relation avant d'aller en médiation. «Sinon, les émotions seront trop présentes durant cette démarche, prévient Yvon Dallaire. Pour réellement se séparer, il faut qu'il y ait d'abord acceptation.» En effet, dans certains cas, lorsque les émotions sont trop fortes, on suggère de reporter la médiation, afin que les ex-conjoints ne soient plus aveuglés par leur colère ou leur tristesse. De même, si un des deux conjoints est pressé d'en finir, il pourrait faire de grosses concessions, sans réfléchir, pour éviter les conflits. Pour s'assurer que tous en ressortent une expérience positive, vaut mieux attendre un peu. «L'argent et les sentiments ne font pas bon ménage. Il est préférable d'aller chercher un avis juridique», conseille Marie Deschambault.
Pour trouver un médiateur: Justice Québec
Pour en savoir plus
- Ordre des travailleurs sociaux du Québec, bottin des thérapeutes familiaux et conjugaux:
- Rompre sans tout casser, par Linda Bérubé, Les Éditions de l'Homme, 2001, 288 p., 24,95 $.
- Parce que la vie continue. Aider les enfants à vivre la séparation et le divorce, Agence de la santé publique du Canada, 2009, 96 p., disponible gratuitement en ligne.