Couple
L'amour pour toujours existe-t-il encore?
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«... et ils vécurent heureux jusqu'au dernier de leurs jours et eurent beaucoup d'enfants.» Fin. Quand on était petites filles, toutes les histoires d'amour se terminaient sur ce célèbre épilogue. Chez les adultes que nous sommes devenues, qui ont vu et vécu leur lot de chicanes de ménage, de réconciliations et de ruptures, les avis sont partagés: si certaines croisent les doigts en espérant bien fort qu'elles réussiront à se forger le même avenir que Cendrillon et compagnie, d'autres y voient une conception bien naïve de la vie de couple.
À 31 ans, Jessica a passé plus de temps auprès de son amoureux que sans lui. «C'est mon premier et mon seul amour», dit-elle. Ils se sont rencontrés à 14 ans et filent encore aujourd'hui un bonheur presque parfait. «Évidemment, cela demande de la souplesse, des compromis et beaucoup de respect. Mais oui, je crois qu'il sera mon seul amour et je compte bien faire en sorte d'être présente pour lui durant toute ma vie.»
À l'inverse, Marie Luce, 38 ans, apprécie, elle, le fait de sentir moins «attachée». «Même si, à chaque changement de conjoint, je recommence à m'inquiéter de l'herpès ou du VIH, je suis bien contente d'appartenir à ma génération, s'exclame-t-elle. Si j'avais dû rester jusqu'à la fin de mes jours avec mon premier chum ou même avec le suivant, j'aurais été bonne pour un abonnement à vie aux antidépresseurs, comme ma mère. Au fil des ans, mes parents sont parvenus à hisser l'engueulade au rang de sport national, et je refuse d'être aussi misérable qu'eux en ménage.»
D'après une étude réalisée en 2007 par Léger Marketing, 90 % des Canadiens sont convaincus qu'il est possible d'être heureux avec la même personne pendant toute une vie, alors que seulement 7 % affirment le contraire. Pourtant, la moitié des mariages se terminent par un divorce! Serait-ce que nous sommes farouchement optimistes? «Par contre, les gens ont de plus en plus conscience qu'il est difficile de rester avec un même partenaire», concède Jean-Claude Kaufmann, sociologue.
Le bonheur personnel d'abord
À l'époque où les studios Disney tournaient Blanche-Neige, on convolait pour le meilleur et pour le pire une seule fois, sans possibilité de remake. Il est clair que cette époque est bien révolue. Si on connaît quelques exceptions qui s'aiment encore tendrement après 50 ans, on rencontre bien plus de couples qui sont un jour arrivés à expiration.
«Autrefois, le mariage était une institution familiale dans laquelle on devait entrer pour la vie, et si on réussissait à en retirer des émotions partagées, une complicité et un certain bien-être, c'était un plus, explique Jean-Claude Kaufmann. Mais aujourd'hui, les critères sont différents: tout part du sentiment amoureux et du bonheur personnel qui va en découler. On rêve d'un amour authentique, d'une relation de très grande qualité à travers laquelle on tient à s'épanouir. Il y a cependant un prix à payer et ce prix, c'est la durée. Si on réalise en chemin qu'on s'est trompé, on veut pouvoir corriger l'erreur.»
«Personnellement, à chaque oui, je jure avoir épousé l'homme de mes rêves parce que je crois vraiment à l'amour éternel, raconte Michelle, 47 ans, qui en est à son troisième mariage. Mais si je m'aperçois en cours de route que ce n'est pas ça, je m'éclipse. S'obstiner à rester en couple quand ça ne fonctionne plus, c'est entre le non-sens et le masochisme car contrairement aux générations passées, plus rien ne nous oblige à le faire. Autant en profiter.»
Étant donné que nos parents se mariaient généralement en visant le long terme, «plusieurs ont grandi avec l'idée qu'avant, on se liait à l'autre avec des chaînes, précise Russell Calvert, psychologue conjugal. Au cours des dernières années, on est donc passé d'un extrême à l'autre puisque maintenant, on ne veut pas s'engager et on a remplacé les chaînes par des ficelles. Et les ficelles, ce n'est pas solide, ça se brise à rien.»
Y mettre les efforts
N'en déplaise aux grands romantiques qui croient qu'il suffit de s'aimer pour être heureux ensemble jusqu'à ce que la mort nous sépare, il faut se l'avouer franchement: garder la flamme bien vivante à long terme réclame un certain travail. La passion des débuts s'effrite, remplacée par les obligations et la routine qui n'ont généralement rien de très romantique. Petites et grandes frustrations nous guettent, sans parler des nombreuses tentations susceptibles de menacer le fragile équilibre de notre union...
Nadia, 33 ans, aujourd'hui célibataire, peut en témoigner. En couple jusqu'à tout récemment, elle raconte que de nombreux différends ont mis en lumière les failles de leur union. «Dès nos premières années de vie commune, notre relation a été éprouvée. On était convaincus que l'amour pouvait à lui seul venir à bout de tous nos problèmes. On ne voyait pas l'importance de travailler sur notre couple», dit-elle. Pendant quelques années, le couple a entrepris un cycle de ruptures et de réconciliations, entrecoupées de mises au point et de thérapies, pour finalement aboutir à une séparation définitive. «Tout ca pour dire que l'amour pour toujours, sans effort, c'est impossible», conclut-elle.
«Tomber en amour, c'est facile. Mais grandir en amour, c'est une autre affaire, explique Dolly Demitro, consultante en relation d'aide et auteure. Au début d'une relation, presque personne n'est dans la transparence. On fait plutôt tout pour être aimée, ce qui signifie cacher nos défauts, être plus coquette que d'habitude ou ne pas trop s'obstiner quand on n'est pas d'accord sur tel ou tel sujet. Pourtant, c'est quand on est totalement transparent que l'autre va pouvoir juger s'il nous apprécie telle qu'on est, s'il partage les mêmes valeurs que nous et s'il peut nous accueillir pour de bon dans son coeur.»
Nicole, 38 ans, croit que l'amour pour toujours, ça existe, mais que ça ne se fait pas tout seul. «Les baguettes magiques et l'amour inconditionnel, je n'y crois pas. Il y a une dizaine d'années, j'ai demandé à mon chum pourquoi il m'aimait. Il m'a répondu qu'il ne savait pas.» Après maintes discussions, afin de tenter d'éviter la rupture, son amoureux a consulté un psychologue pour mieux saisir son insatisfaction alors que sa belle lui laissait beaucoup d'espace pour faire cette réflexion. Des moments qu'elle appelle «ses montagnes russes». «En 20 ans de mariage, tu t'aperçois que pour bien supporter les montagnes russes, les deux doivent être prêts à se donner un élan quand ils se retrouvent dans un creux. J'espère seulement qu'on aura l'énergie de nous redonner cet élan pendant longtemps!» dit-elle.
Décourageant, d'envisager tous les efforts que demande l'amour durable? Au plus creux d'une vague, il est tentant de se dire qu'il serait tellement plus simple de lâcher prise et de recommencer avec quelqu'un d'autre... Malheureusement, si on se sépare souvent, on risque de ne pas trouver comment s'aimer pour toute la vie. «Le problème, c'est qu'on ne réalise pas toujours à temps que l'âme soeur, c'est la personne qui va nous aider à grandir, constate Dolly Demitro. D'une relation à l'autre, on va certes tout faire pour que ça fonctionne, mais en répétant les mêmes erreurs. Ça va donc encore se solder par une séparation et le pourcentage pour qu'on retourne dans ce genre de relation avoisine les 75 %. Alors, à moins qu'on ne soit victime d'abus physique ou psychologique, je ne suis pas en faveur de la séparation comme première mesure parce que les risques de reproduire à l'infini exactement le même pattern sont trop grands.»
Gabrielle peut en témoigner, car même si elle n'a que 29 ans, elle en est déjà à cinq tentatives ratées de vie à deux. «Passé le cap de la lune de miel, qui ne s'étend grosso modo que sur 18 mois, j'ai l'habitude de voir mes amours se dégrader à toute vitesse, confie-t-elle. Je ne sais pas ce qui se passe exactement, mais tous les travers et toutes les faiblesses des gars que j'ai fréquentés me sautent alors subitement à la figure, et inversement. L'unique point positif que j'y vois, c'est que ça m'a appris comment casser sans faire trop de dégâts», ironise-t-elle, même si elle croit quand même qu'elle rencontrera un jour la personne qu'elle aimera pour le reste de sa vie.
Y croire... de façon réaliste
Jean-Claude Kaufmann est d'avis que les couples d'aujourd'hui qui entament une nouvelle histoire d'amour le font en se disant: «On verra bien ce que ça donne!» Quand la suite s'installe et que ça n'est pas trop mal, ils décident tout naturellement de continuer avec l'espoir que ça marchera le plus longtemps possible, sans avoir de certitudes pour autant.
Ce scepticisme est-il l'attitude à adopter? Si on espère être avec notre amoureux le plus longtemps possible, est-il préférable de se dire qu'on sera probablement ensemble pour un bout seulement, ou jusqu'à la fin des temps? «On devrait s'aimer pour toujours, mais un seul jour à la fois, répond Dolly Demitro. Bref, pas un jour ne doit s'écouler sans qu'on investisse dans cette relation-là, sauf qu'on doit impérativement le faire à deux: s'il n'y en a qu'un qui rame, la relation va vite finir par tourner en rond.»
Pour Russell Calvert, «l'important, ce n'est pas de croire ou non en l'amour éternel, mais de bâtir ensemble». Si on évolue dans la même direction et qu'on sait entretenir des intérêts communs, notre relation devrait pouvoir durer tout naturellement. On a envie que ça dure?
«Objectivement, l'amour est un sentiment qui est fait pour durer tant qu'on maintient certaines conditions, affirme Russell Calvert. Par contre, dès qu'on les change, il faut s'attendre à ce que l'amour change aussi.» Et quelles sont ces mystérieuses conditions? «Pas de comportements sans-gêne (rôts, pets, gros mots, etc.), pas de critiques ou de reproches et pas d'insultes. On n'est pas ensemble pour avoir un autre boss ou pour partager son quotidien avec un effronté, on est ensemble pour célébrer en multipliant les petites attentions, les approches douces et les surprises.»
Nommer nos attentes est aussi primordial. «Trop souvent, à cause d'un manque de communication, la relation se bâtit sur un échange de frustrations au lieu de se bâtir sur un échange de satisfactions. Plus on se sent compris, plus l'intimité et la magie s'installent. On commence à déchanter et à voir notre libido chuter lorsqu'on n'obtient pas ce qu'on veut et que la frustration s'installe», explique le psychologue conjugal, qui recommande une technique en trois étapes qu'il utilise fréquemment dans sa pratique:
- dans un premier temps, on écoute ce que notre conjoint a à dire afin de bien cerner ses demandes et ses besoins;
- une fois qu'on a parfaitement bien compris ce qu'il veut, on fait l'exercice inverse sans omettre le moindre détail;
- maintenant qu'on sait exactement ce que chacun souhaite, il s'agit de passer de la théorie à la pratique en répondant à la question suivante: «Comment peux-tu avoir ce que tu veux en même temps que je peux avoir ce que je désire?»
Pour en savoir plus
- Les Hommes, l'Amour, la Fidélité, par Maryse Vaillant, Albin Michel, 2009, 192 p., 25,95 $.
- Un couple fort, une famille unie, par Yvan Phaneuf, Éditions du CRAM, 2009, 292 p., 24,95 $.
- Qui sont ces heureux couples?, par Yvon Dallaire, Le livre de poche, 2007, 320 p., 10,95 $.
- Vie en couple, couple en vie, par Dolly Demitro, Les Éditions de l'Homme, 2009, 272 p., 22,95 $).
- Le site de Russell Calvert