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Les troubles de l'alimentation: société ou hérédité?

Les troubles de l'alimentation: société ou hérédité?

Istockphoto.com Photographe : Istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

Il a longtemps été pris pour acquis que les troubles alimentaires (tels que l'anorexie nerveuse et la boulimie) avaient pour cause la pression sociale qui nous pousse à avoir une apparence mince. Et s'ils étaient dus à l'hérédité?

Les croyant causés par la pression sociale, nous appelions ces troubles alimentaires des « syndromes propres à une culture donnée » (culture bound) et « épidémies sociales » (Gordon, 1990), les percevant comme des versions extrêmes de l'obsession sociale envers les diètes, un peu comme des « diètes qui sont allées trop loin ».

De toute évidence, il est probable que l'alimentation et les distorsions de l'image corporelle sont reliées à toute cette emphase que la société met sur les diètes et la minceur. Une étude menée par Anne Becker (2004) nous donne un exemple marquant de ceci. Cette dernière démontrait que l'introduction de la télévision américaine aux Îles Fidji (dans les années 90) eut un impact foudroyant. En effet, les femmes et les jeunes filles de Fidji qui étaient auparavant satisfaites de leur image corporelle sont, par la suite, devenues insatisfaites de leur apparence physique!

Boulimie et anorexie: différents facteurs impliqués

Dans la même ligne d'idée, des résultats d'études confirment que la prévalence de la boulimie a augmentée dans les dernières décennies à un rythme qui semble suivre la montée de cette culture de la minceur (Keel & Klump, 2003). Ainsi, la boulimie semble directement être le résultat d'une société plaçant trop de pression sur les gens pour qu'ils se mettent à la diète.

Les gens plus susceptibles de réagir à cette pression perdent ainsi le contrôle sur leur appétit amoindri et font des crises de boulimie. Cependant, même si la boulimie semble dépendre de cette pression à se mettre à la diète, il semble qu'elle surgit plus spécialement chez les gens qui sont vulnérables sur d'autres plans, c'est-à-dire des gens qui ont souvent des troubles de l'humeur, d'anxiété, d'impulsivité ou d'abus de substances telles que l'alcool et/ou les drogues.

Des données interculturelles et historiques ont démontré que l'anorexie a toujours existé dans toute l'histoire de la civilisation humaine, et ce même dans les sociétés où il n'a jamais eu de pression à être mince. Ces données affaiblissent ainsi encore un peu plus le lien entre les troubles de l'alimentation (TA) et cette pression sociale qui nous pousse vers la minceur. Il semble donc qu'un autre type d'explication est nécessaire: quels autres facteurs pourraient ainsi être impliqués dans cette vulnérabilité à développer un trouble alimentaire?

Le rôle de l'hérédité

Dans les quinze dernières années, les chercheurs et théoriciens impliqués dans le domaine des troubles de l'alimentation se sont de plus en plus penchés sur le rôle de l'hérédité et de la génétique (Bulik, 2005; Collier & Treasure, 2004; Steiger & Bruce, 2007).

De nouvelles données démontrent clairement que les TA se retrouvent souvent chez plusieurs membres d'une même famille, plus particulièrement dans les familles dans lesquelles certains membres souffrent soit de troubles alimentaires ou de symptômes qui accompagnent fréquemment les TA (tels que l'anxiété, les compulsions, la dépression, ou l'impulsivité).

Les troubles de l'alimentation (hommes et femmes) sont de 3 à 10 fois plus communs chez les gens parents par le sang des individus qui souffrent eux-mêmes d'un trouble alimentaire. Des études menées chez des jumeaux et jumelles ont démontrés que les soeurs jumelles identiques ont une concordance marquante pour les TA (autour de 50 à 70 %), c'est-à-dire, à un niveau conforme avec la transmission génétique, appuyant encore une fois l'idée que l'hérédité est impliquée.

La génétique pourrait avoir une influence

Quelques études (surtout celles très récentes) nous ont donné des indices par rapport à quels gènes pourraient contribuer à cette vulnérabilité. De bons candidats sont les gènes qui influencent le niveau cérébral de la sérotonine et de la dopamine, ou bien un élément chimique du cerveau appelé le BDNF (« brain-derived neurotropic factor »). Tous influencent les comportements alimentaires, l'humeur, l'impulsivité, de même que d'autres éléments associés aux troubles de l'alimentation (Steiger & Bruce, 2007; Ribases et al, 2004).

Pareillement, des études ont trouvé certains sites sur les chromosomes 1 et 10 comme étant de possibles « points à risque » pour les troubles de l'alimentation (Bulik, 2004; Collier & Treasure, 2004). Si vous êtes surpris, ne le soyez pas. Beaucoup de choses que nous croyons « acquises » et « apprises » émergent comme étant plutôt héréditaires en fait. Des choses telles que le perfectionnisme, la religiosité (et même le conservatisme politique!) sont en effet expliquées en moyenne à 50 % par l'influence de la génétique (Alford et al, 2005; Hamer, 2004). Les troubles de l'alimentation ne sont pas en reste, puisqu'ils sont eux aussi expliqués à 50 % par l'influence des gènes. Donc, est-ce que tout cela signifie que vous « héritez » d'un TA?

Les facteurs environnementaux pourraient activer l'hérédité

La plupart des problèmes de santé mentale implique l'hérédité, mais ceci ne veut pas dire que vous ne faites que les « avoir » à la naissance. Il est plus intéressant de penser à la possibilité que les facteurs environnementaux peuvent activer ces vulnérabilités héritées (qui sont génétiquement transmises chez les gens « à risque »).

L'idée est que les facteurs génétiques sont impliqués, mais qu'ils n'ont pas vraiment d'influence tant et aussi longtemps que l'environnement dans lequel on évolue ne les active pas.

Pour ce qui est des troubles de l'alimentation, nous nous penchons sur les différentes façons que des facteurs environnementaux (comme la pression sociale à se mettre à la diète, les conflits familiaux, le stress associé à la performance et à l'accomplissement) peuvent activer les susceptibilités génétiques vers les problèmes d'anxiété, de l'humeur, et de régulation de l'appétité. Ces susceptibilité qui sont supportées par des facteurs héréditaires (tels que les gènes) qui influencent le fonctionnement de certains systèmes cérébraux comme la sérotonine, la dopamine et le BDNF par exemple.

Sinon, nous pensons aussi à différentes façons par lesquelles les gènes peuvent déterminer à quel point les gens, à cause de leurs traits héréditaires, se mettent eux-mêmes à risque (en étant perfectionnistes, conscients de leur image corporelle, etc). Ces traits peuvent rendre les gens tout spécialement sensibles à cette pression qui nous incite à suivre une diète, poussant ensuite ces individus à vouloir être « parfaits » dans leur diète dans ce contexte social qui les encourage sans cesse à être au régime!

Certaines personnes trouvent dérangeant de penser que des aspects de notre comportement sont héréditaires, comme si cela impliquait que nous sommes « préprogrammés » ou manquons de contrôle sur notre vie. De toute évidence, ce point de vue n'est pas bien informé. Laissez-moi dissiper quelques uns des mythes entourant le sujet:

Mythe no. 1: « Si des facteurs génétiques agissent dans les troubles de l'alimentation, alors je suis coincé. J'aurai mon trouble alimentaire pour toujours. »

Pas du tout! Les théories génétiques nous font comprendre que l'environnement (dans le cas présent, un environnement qui encourage beaucoup les diètes) active les vulnérabilités génétiques qui peuvent tout autrement rester inactives chez les gens qui les portent.

Faire trop de régimes active les risques biologiques présents chez certaines personnes. Un exemple évident (bien supporté par plusieurs études) est que les troubles de l'alimentation, de l'humeur et d'anxiété semblent tous impliquer des altérations similaires dans l'activité cérébrale de la sérotonine (Steiger, 2004), laquelle nous savons très sensible aux effets des régimes.

Des études démontrent que trois semaines de régime modéré altère l'activité de la sérotonine de façon assez importante... et ce encore plus chez les femmes que chez les hommes! (Cowen et al, 1996). Non seulement ses informations aide-t-elles à expliquer pourquoi les TAs sont fréquemment présents chez les gens qui ont plus tendances à souffrir de troubles de l'humeur et d'anxiété (les trois étant liés à l'activité de la sérotonine) et chez les femmes (qui ont un système de sérotonine plus sensible et plus facilement débalancé après un régime), mais cela nous dit aussi que la rémission d'un trouble alimentaire implique une prise d'actions afin de faire taire ces risques biologiques. La première chose à faire est d'arrêter les régimes!

Un autre point important est que les gens ne développent pas un trouble de l'alimentation à cause d'une faiblesse de caractère ou d'un problème de personnalité. Ils n'ont pas demandé à avoir un trouble alimentaire, et ce n'est pas leur faute. En fait, les TA se développent chez des gens qui leur sont vulnérables, des gens pour qui des susceptibilités génétiques rendent les régimes particulièrement dangereux!

Mythe no. 2: « Si j'ai un TA, et que les TA sont héréditaires, alors mes enfants en auront un aussi. »

Pas du tout. Les mêmes facteurs qui encouragent la vulnérabilité aux TA (par exemple, le perfectionnisme et la compulsion) sont souvent la base de plusieurs points forts que les gens possèdent (par exemple, la capacité de faire du travail bien fait, ou d'accomplir beaucoup de choses). Alors le vrai problème est d'être en mesure de « bien se servir » de ces traits.

Nous devons aider nos enfants à apprendre à tirer profit de leurs traits de personnalité, en étant capable de s'impliquer dans des projets et en travaillant fort, tout en étant capable de se fixer des limites raisonnables et en étant contents d'être « bons » (au lieu de chercher à être parfaits).

De plus, nos enfants doivent apprendre à avoir des opinions équilibrées par rapport à l'image corporelle et au maintien du poids, de même que des idées favorisant la modération du côté de l'exercice et des diètes. De cette façon, nous espérons que même les enfants qui sont biologiquement plus à risque ne tomberont pas sous l'emprise d'un trouble de l'alimentation des suites d'un régime excessif qui active ces vulnérabilités biologiques.

Mythe no. 3: « Si les TA impliquent la biologie, il n'y aura donc plus de place pour la psychothérapie, ou d'attention portée aux besoins émotionnels et aux facteurs familiaux dans le traitement. »

Même si de plus en plus d'attention est portée sur les influences biologiques pouvant en partie causer les TAs, le traitement de ceux-ci dépend toujours sur un processus interpersonnel - une révélation - qui se développe entre la personne en traitement, son ou ses thérapeute(s), et les autres personnes avec qui elle pourra peut-être décider de partager son travail vers la rémission.

En fait, l'emphase mise sur le rôle que la biologie joue a, paradoxalement, donné un côté « humain » à la thérapie. Lorsque nous comprenons que les susceptibilités biologiques (liées à l'anxiété, au fait d'aimer les choses en ordre et très contrôlées, ou à la dérégulation de l'appétit) jouent un rôle dans le risque de développer un trouble de l'alimentation, et qu'elles deviennent amplifiées sous l'effet de la malnutrition durant un trouble actif, on devient moins prompt à critiquer la personne souffrant d'un TA, en la trouvant obstinée ou résistante au changement quand elle (ou il) a de la difficulté à garder sous contrôle les symptômes alimentaires.

Plus réalistement, les traits héréditaires et le tempérament, amplifiés par les effets de la malnutrition et de l'environnement (et non par l'obstination) expliquent l'apparente rigidité ou le besoin de contrôle excessif de ces personnes lorsqu'elles sont sous l'influence d'un trouble alimentaire actif.

Pareillement, même si le fonctionnement de la famille peut être un facteur, les troubles alimentaires ne sont pas « causés » par des mères anxieuses agissant de façon surprotectrice, ou par des pères émotionnellement absents. Nous ne pointons plus les parents du doigt comme étant la cause du trouble de l'alimentation de leur enfant.

En fait, il y a eu un grand changement-très bénéfique, selon moi, vers des interventions thérapeutiques qui blâment et humilient moins les gens, et qui les assistent et les guident plus, aidant ainsi les personnes souffrant d'un TA et leurs proches à reconnaître et à diriger l'influence des traits dont ils ont hérités; des sensibilités émotionnelles et des modes de pensée qui parfois expliquent l'unique vulnérabilité au développement d'un TA.

Pas un signe de faiblesse

Les gens ne développent pas un trouble de l'alimentation parce qu'ils sont faibles ou stupides, ou parce qu'ils l'ont « cherché ». Je crois que lorsque quelqu'un développe un TA, c'est parce qu'il y a eu une malheureuse, et bien souvent inévitable, collision de facteurs psychologiques, sociaux, et biologiques.

C'est un peu comme si vous marchiez seul sur le trottoir alors que des déménageurs échappent un piano du dernier étage. Vous ne demandez pas à être frappé, mais si vous l'êtes, vous avez maintenant le boulot de devoir réparer les dommages. En d'autres mots, vous ne pouvez pas toujours éviter ce qui se produit lorsque vos susceptibilités génétiques (à être anxieux, perfectionniste, à préférer l'ordre et le contrôle) se trouvent amplifiées par des stress familiaux et sociaux (comme la surprotection, la négligence, les séparations, l'expérience d'échecs, et les critiques), et finalement se retrouvent activées par les effets des régimes. Il est cependant possible de réparer les dommages. Habituellement, cela signifie apprendre à bien vivre avec ses traits, en les utilisant de bonne façon, tout en limitant toute tendance à l'excès, et lorsque nous parlons de troubles alimentaires, invariablement, arrêter d'être au régime est l'ultime facteur.

  

Cet article a été traduit par Patricia Groleau.

Source
Association québécoise d'aide aux personnes souffrant d'anorexie nerveuse et de boulimie ANEB

 

References
Alford JR, Funk CL, Hibbing JR. Are political orientations genetically transmitted? Am Poli Sci Rev 2005; 99: 153-167.
Becker AE. Television, disordered eating, and young women in Fiji: Negotiating body image and identity during rapid social change. Cult Med Psychiatry 2004; 28: 533-559.
Bulik CM: Exploring the gene-environment nexus in eating disorders. J Psychiatry Neurosci 2005;30:335-39.
Collier DA, Treasure JL. The aetiology of eating disorders. Br J Psychiatry 2004;185:363-365.
Cowen PJ, Clifford EM, Walsh AES, Williams C, Fairburn CG. Moderate dieting causes 5-HT2C receptor supersensitivity. Psychol Med 1996;26:1155-1159.
Gordon A. Anorexia and bulimia: anatomy of a social epidemic. Cambridge (MA): Blackwell; 1990.
Hamer D. The God Gene. New York: Doubleday, 2004
Keel PK, Klump KL. Are eating disorders culture bound syndromes? Implications for conceptualizing their etiology. Psychol Bull 2003;129:747-769.
Ribases M, Gratacos M, Fernandez-Aranda F, et al. Association of BDNF with anorexia, bulimia and age of onset of weight loss in six European populations. Hum Mol Genet 2004; 13(12):1205-12
Steiger H. Eating disorders and the serotonin connection: state, trait and developmental effects. J Psychiatry Neurosci 2004;29:20-29.
Steiger H, Bruce KR . Phenotypes, endophenotypes, and genotypes in bulimia-spectrum eating disorders. Cdn J Psychiatry 2007: 52; 220-227.

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