Vie de famille

Allergies alimentaires: un défi en milieu scolaire

Allergies alimentaires: un défi en milieu scolaire

istockphoto.com Photographe : istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

Les allergies alimentaires chez les enfants et les adolescents sont de plus en plus répandues. Une situation qui pose un véritable défi au milieu scolaire.

Elle était volubile, pétillante, toujours prête à rire. Son visage, qui avait conservé les rondeurs de l'enfance, était criblé de taches de rousseur. Elle aimait la danse, les livres de Harry Potter et collectionnait les cartes de magie. Elle s'appelait Sabrina Shannon.

Sabrina: une histoire vraie

Le matin du 29 septembre 2003, Sabrina s'apprêtait à quitter la maison familiale pour se rendre à l'école secondaire qu'elle fréquentait, en Ontario. Repoussant le sandwich que sa mère lui avait préparé pour son repas du midi, elle déclara qu'elle voulait manger, pour une fois, à la cantine de l'école. Sa mère, inquiète, protesta. Sabrina, en effet, était sévèrement allergique aux arachides, au soya et aux produits laitiers. De plus, elle était asthmatique, ce qui constitue un facteur aggravant en cas de réaction allergique. Dans ces conditions, manger des mets préparés ailleurs qu'à la maison était clairement risqué.

Mais Sabrina était convaincante. Les risques, elle les connaissait. Elle avait toujours fait preuve d'une grande vigilance à cet égard et s'était d'ailleurs déjà assurée auprès du personnel de la cafétéria que les frites qu'elle désirait manger convenaient à son régime alimentaire limité. La mère de la jeune fille céda.

Réaction fatale

À l'heure du midi, Sabrina engloutit les frites convoitées, après avoir posé quelques questions sur l'huile utilisée pour la cuisson (elle voulait être certaine qu'il ne s'agissait pas d'huile d'arachide). La réaction débuta quelques minutes plus tard, un peu avant le début de la première classe de l'après-midi. Sabrina, dont la respiration était devenue sifflante, lança à son enseignante: «Je crois que je fais une crise d'asthme». L'enseignante lui demanda de se rendre au bureau de la direction en compagnie d'une élève. Ce bureau était situé à l'autre extrémité du bâtiment et lorsque Sabrina l'atteignit enfin, elle éprouvait d'importantes difficultés respiratoires et était en proie à la panique. L'auto-injecteur d'adrénaline qui aurait pu lui sauver la vie se trouvait dans son casier. Sabrina l'avait porté pendant des années dans une pochette rouge attachée à sa taille, mais avait cessé de le faire après avoir été en butte aux moqueries d'autres étudiants.

On appela une ambulance. La réaction progressait rapidement et deux minutes après son arrivée dans le bureau de la direction de l'école, Sabrina perdit conscience. Quelques instants plus tard, la titulaire de la jeune fille accourut avec l'auto-injecteur de cette dernière et une dose d'adrénaline lui fut administrée. Mais il était trop tard.

Sabrina ne reprit jamais conscience et mourut le lendemain. Elle n'avait que 13 ans.

Un fléau mondial

Depuis quelques années, on constate une augmentation marquée des cas d'allergies alimentaires dans les pays industrialisés. Ainsi, en Amérique du Nord, on estime que 4 % de la population a des réactions allergiques à divers degrés reliées aux aliments. La proportion des enfants et des adolescents touchés est encore plus élevée avec une prévalence atteignant jusqu'à 6 %.

Les symptômes associés aux allergies alimentaires sont extrêmement variables et tout à fait imprévisibles. Parfois légers, il arrive qu'ils évoluent vers une réaction généralisée (l'anaphylaxie) qui, en l'absence de traitement, peut être fatale. L'ingestion d'une infime quantité d'un aliment peut entraîner chez une personne allergique une réaction grave. C'est apparemment ce qui est arrivé dans le cas de Sabrina. Le coroner en chef qui a présidé l'enquête menée suite au décès de la jeune fille, le docteur Andrew McCallum, croit en effet que les frites servies à cette dernière ont été contaminées par un ustensile qui avait au préalable été en contact avec un plat contenant du fromage.

Loi visant à protéger les élèves anaphylactiques

Dans le cadre d'une conférence de presse tenue presque un an après le décès de Sabrina, le docteur McCallum a insisté sur le fait que des mesures devaient être prises dans les écoles ontariennes afin que les élèves souffrant d'allergies alimentaires soient mieux protégés. Ses recommandations de même que les pressions exercées par Sara Shannon, la mère de Sabrina, et divers groupes de patients ont contribué à l'adoption et à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2006, de la «Loi visant à protéger les élèves anaphylactiques».

Communément appelée «Loi de Sabrina», celle-ci exige que tous les conseils scolaires de la province élaborent une politique relative à l'anaphylaxie. Cette politique doit notamment comprendre une formation régulière sur la façon de faire face aux allergies potentiellement mortelles, et l'obligation d'élaborer un plan individuel pour chaque élève qui souffre d'une pareille allergie. Ce plan doit prévoir, entre autres choses, les stratégies de prévention, le traitement approprié, les mesures d'urgence à mettre en place et l'entreposage des auto-injecteurs d'épinéphrine (EpiPenMD ou TwinjectMD).

Première initiative du genre en Amérique du Nord, la Loi de Sabrina a incité d'autres provinces canadiennes à mettre au point leurs propres politiques en la matière. C'est le cas du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Colombie-Britannique. Des politiques semblables sont à l'étude dans certains états américains et, en Australie, un coroner a recommandé l'adoption d'une loi similaire à celle de l'Ontario.

Une approche globale pour les petits allergiques

Les décès liés à l'anaphylaxie alimentaire sont peu fréquents. Néanmoins, nombre de parents d'enfants souffrant d'allergies alimentaires craignent que leurs petits ne partagent le destin tragique de Sabrina Shannon.

J'en sais quelque chose. Christophe, mon fils, mon amour, est sévèrement allergique à plusieurs aliments.

Depuis le début de sa scolarité au Québec, son père et moi rencontrons à chaque rentrée la directrice de l'école, l'enseignante, la responsable du service de garde, l'éducatrice et l'infirmière scolaire pour discuter des mesures à mettre en place afin d'assurer la sécurité de notre fils et son intégration complète. Tout y passe: la prévention, les récompenses alimentaires, les activités spéciales, l'entreposage des auto-injecteurs, les mesures d'urgence applicables, etc. Un processus exigeant mais absolument nécessaire.

L'approche de l'Ontario n'a pas encore été suivie au Québec. La gestion des allergies alimentaires dans les établissements scolaires primaires et secondaires est, en effet, décentralisée. Ce sont les commissions scolaires, de concert avec les centres de santé et de services sociaux, qui élaborent les protocoles d'intervention applicables dans les écoles de leurs territoires. Le système ne fonctionne pas mal dans l'ensemble, mais étant donné l'importance de l'enjeu, ce manque de cohérence dans l'ensemble du réseau est dénoncé par un nombre grandissant de parents d'enfants allergiques. 

Bien sûr, l'adoption d'une politique globale en matière d'anaphylaxie n'est pas une panacée. Néanmoins, elle a l'avantage d'envoyer un message clair et cohérent à tous les intervenants du réseau scolaire du territoire couvert ainsi qu'à la population en général. Elle fournit en outre aux parents d'enfants allergiques un levier pour éviter certains dérapages et allège un peu leur tâche.

 Un fardeau trop lourd?

Je me souviens qu'un peu avant l'entrée de mon fils en maternelle en 2003, un journaliste bien connu au Québec avait écrit que les enfants souffrant d'allergies alimentaires sévères représentaient un fardeau trop grand pour le réseau scolaire et qu'ils devraient en être purement et simplement retirés.

Ce point de vue, j'en suis convaincue, est celui d'une toute petite minorité. Comment pourrait-il en être autrement? Environ 53 000 élèves québécois souffrent d'allergie à un ou à plusieurs aliments. Les reléguer au statut de citoyens de seconde zone en leur interdisant la garderie, la prématernelle, l'école (qui, faut-il le rappeler, n'est pas uniquement un lieu d'enseignement mais aussi un milieu de vie et de socialisation) pour des raisons de commodité générale n'est tout simplement pas une option.

Qu'on le veuille ou non, l'allergie alimentaire n'a plus rien d'un phénomène marginal. Elle est devenue un problème de santé publique qu'on ne peut nier et un défi que notre société, dans son ensemble, se doit de relever. Pour le mieux-être de tous.

Le saviez-vous?

Classées au 4e rang des problèmes de santé publique par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les allergies alimentaires - une pathologie potentiellement mortelle - se multiplient depuis les dernières années.

Sources

SAMPSON, H. A., «Update on food allergy», Journal of Allergy and Clinical Immunology, vol. 113, no 5, 2004, p. 805-819.

L.O. 2005, CHAPITRE 7.

Ministère de l'Éducation, Santé et Sécurité, politique 704.

Ministère de l'Éducation et du Développement de la petite enfance, Île-du-Prince-Edouard, Directive ministérielle no. MD 2006-02 , «Mesures à adopter en présence d'allergies constituant un danger de mort».

Colombie Britannique, arrêté ministériel no. 232/07, 13 septembre, 2007.

ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DES ALLERGIES ALIMENTAIRES. Allergies alimentaires: opportunités et enjeux pour l'industrie agro-alimentaire du Québec, mémoire, Montréal, 2007, 30 p.

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