6-12 ans
L’école à la maison au Québec: un choix encore tabou?
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De plus en plus de parents choisissent l’école à la maison pour leurs enfants. Selon la chercheure Christine Brabant, cette option ne nuit pas à la socialisation des jeunes. Son livre apporte un éclairage nouveau sur ce modèle d’éducation.
La professeure-chercheure en administration scolaire de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Christine Brabant, a publié en décembre dernier L'école à la maison au Québec, un projet familial, social et démocratique. Fruit de douze années de recherches et réflexions, le livre apporte un nouveau regard sur ce modèle d'éducation, notamment par le concept de village éducatif. Christine Brabant propose également comment l'État peut mieux soutenir et encadrer ce choix des parents, qui aurait triplé depuis 2002 au Québec.
Pourquoi, selon vous, l'école à la maison n'empêche pas une bonne socialisation des enfants? La question de la socialisation des enfants est toujours posée aux parents. En fait, la plupart des parents, lorsqu'ils commencent à l'école à la maison, vont s'associer à un groupe de soutien. Ils recréent une communauté d'enfants et d'adultes qui vont participer à des activités plus larges, comme aller au Musée, aller au Centre communautaire ou faire des corvées environnementales par exemple. Cette nouvelle communauté éducative brise un peu le préjugé envers ces familles, qu'on pense souvent isolées.
C'est ce que vous appelez le village éducatif? La métaphore est inspirée du dicton africain, qui dit qu'il faut un village pour éduquer un enfant. Le village éducatif, c'est le village pour les enfants, mais aussi pour les parents. À l'autre niveau, le village éducatif fait aussi référence à la gouvernance. C'est de s'ouvrir à l'idée que les parents sont absolument nécessaires pour l'éducation des enfants et que l'État n'arriverait pas à éduquer tous les enfants du tout seul, sans la famille. D'autre part, l'État a aussi un rôle important à jouer. Si les familles n'avaient pas accès à aucune ressource publique, elles n'y arriveraient pas non plus.
Que fait le gouvernement pour les familles qui choisissent l'école à la maison au Québec? Il y a quelques cas exceptionnels, où du soutien est offert. C'est l'initiative de commissions scolaires particulières, et même d'intervenants mandatés par la commission scolaire pour interagir avec les parents. Ces intervenants vont identifier les besoins, s'organiser pour prêter des livres, donner accès à la bibliothèque, ou donner des conseils pédagogiques. Mais rien n'est systématisé au Québec. Le ministère de l'Éducation transfert autour de 800$ par enfant éduqué à la maison à chacune des commissions scolaires qui les déclare sur son territoire, mais il n'y a pas d'obligation d'utiliser cet argent de façon particulière.
Quels moyens pourraient être entrepris selon vous? Dans d'autres provinces canadiennes, aux États-Unis, ou en Europe, il y a des grands systèmes qui ont été mis en place pour soutenir les parents, comme la formation à distance pour les enfants, des centres de ressources, des crédits d'impôt ou des cartes prépayées pour le matériel éducatif, comme dans l'ouest canadien. Il y a même des endroits où l'on permet la fréquentation scolaire à temps partiel, ou à la carte. On a compris qu'il pouvait exister des méthodes hybrides
De telles mesures seraient-elles souhaitables dans la province?
Oui, c'est souhaitable, car ces parents paient leurs taxes scolaires comme tout le monde. Ils décident de donner plus de temps pour accompagner leurs enfants dans leur éducation, mais ils sont placés devant un choix noir ou blanc : soit vous choisissez l'école publique ou privée telle qu'est l'est, soit vous vous débrouillez tout seul. Il y aurait plusieurs façons de les supporter, tout en respectant leur choix.
Si l'État finançait l'école à la maison, comment s'assurer que les enfants obtiennent un niveau de scolarité convenable? Il y attitude de soutien, avec les mesures évoquées précédemment. Il y aussi l'attitude de contrôle, voir d'interdiction, comme en Allemagne. L'attitude de contrôle pourrait être d'exiger exactement le même programme qu'à l'école, avec les mêmes évaluations, le même type d'horaires et de matériel utilisé.
Moi je trouverais ça très déplorable parce que le mouvement d'école à la maison est un mouvement d'expérimentation pédagogique qui est très riche, où on peut voir des enfants évoluer dans un autre contexte. Selon moi, il ne faut pas réprimer cette possibilité avec une attitude de contrôle. Entre le soutien et le contrôle, il y a ce que j'appelle l'intervision, où la vision de l'État et celle des parents se croisent. Une supervision à deux. Enfin, une autre approche, est la régulation par un tiers. Par exemple, en Caroline du Sud, c'est le groupe de soutien qui a été reconnu.
Vous, avez-vous expérimenté l'école à la maison avec vos enfants? C'est une question que l'on me pose depuis plusieurs années, à laquelle j'ai décidé de ne jamais répondre. Je ne veux pas impliquer mes enfants et mon conjoint dans l'attention médiatique que moi je peux avoir et je me dis que le choix des chercheurs, n'a pas à être nécessairement en lien avec les recherches qu'ils font.