Nutrition
Comportements alimentaires: le principe du «good enough diet»
iStockphoto Photographe : iStockphoto
Les comportements alimentaires évoluent, mais personne, pas même les nutritionnistes, ne mange parfaitement bien. De là le concept de «good enough diet».
Marie Marquis est nutritionniste et professeure agrégée au Département de nutrition de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal. Elle s'intéresse à l'étude des comportements alimentaires des enfants et des familles. Attablées chez moi devant une soupe de poisson au lait de coco (dont ma convive veut absolument la recette), nous discutons sans prétention sur le thème de notre relation à l'alimentation, un sujet qui passionne Marie.
HÉLÈNE LAURENDEAU: Que faut-il penser du principe «good enough»?
MARIE MARQUIS: Le «good enough diet» s'inspire du concept du «good enough parent», développé par le pédiatre anglais Donald Winnicott dans les années 1950-60. En gros, cela veut dire qu'on n'a pas à être parfait, pourvu qu'on soit suffisamment bon dans l'ensemble.
Le principe vaut aussi pour la nutrition. L'important, ce n'est pas de manger de manière optimale tout le temps. Par exemple, si un jour on a avalé et même dégusté quelque chose de moins santé, on laisse passer... C'est le cumul des événements qui compte. Et c'est beaucoup moins culpabilisant ainsi. Moins que de se faire dire qu'on n'a pas mis ceci au menu ou qu'on a trop mangé de cela...
De la même façon, on pourrait difficilement être un bon parent tout le temps et, sur tous les plans, ça deviendrait complètement fou. Alors que l'approche du «good-enough» donne droit à l'erreur, à l'écart.
L'approche du moins pire
HL: Un ami (l'auteur Jean-Pierre Plante, pour ne pas le nommer, celui-là même qui m'avait décrite comme nutritionniste avec une majeure en souper et une mineure en saucisses cocktail!) disait qu'on peut toujours faire «moins pire»... Comme servir une pizza congelée à ses enfants en la bonifiant de légumes ou en l'accompagnant d'une salade verte, d'un verre de lait... Es-tu d'accord?
MM: Absolument! Il y a un tas de gens qui consomment des aliments parce qu'ils ont lu ou entendu qu'ils DOIVENT ou DEVRAIENT en manger, mais n'en tirent aucun plaisir... C'est dommage! Je trouve que de parler de saine alimentation en regardant ce qu'une personne mange globalement dans une journée, et ce qui la motive à le faire, c'est préférable. Mais tout le monde n'est pas d'accord avec ça.
HL: Qui ça? Des nutritionnistes ou autres professionnels de la santé pour qui ce n'est pas suffisant parce que ce n'est pas le l'Idéal avec un grand I, le but à atteindre?
MM: Oui, pour certains professionnels de la santé, l'ouverture occasionnelle vers quelque chose de moins optimal, ça crée de la confusion dans le public. Ce serait comme tenir un double discours. Mais le discours «Idéal»... quand les gens se rendent compte qu'ils n'arrivent pas à le suivre, ils se découragent. Moi, j'aime mieux les voir se diriger vers un «good enough».
HL: ... que d'abandonner complètement et se dire: «Ce n'est pas pour moi.»
Un pas de plus vers la santé
MM : On croit généralement que les consommateurs sont déjà très au fait côté nutrition. Si on y regarde de plus près, il y en a tout un lot qui est très loin de l'alimentation idéale. Le «good enough» leur permet de faire un pas à la fois et de s'approcher d'un objectif santé. Et même si ça prenait six mois pour qu'une personne se mette à déjeuner tous les matins ou qu'elle ajoute des fibres dans son alimentation, laissons-lui donc le temps nécessaire! Au moins, cette habitude sera alors adoptée pour la vie. Et on pourra passer à une autre étape.
Quand on regarde les comportements alimentaires et les aliments les plus consommés, les statistiques nous révèlent par exemple que plusieurs Québécois sont friands de jambon en conserve.
HL: Et ça se vend!
MM: Le jambon en conserve, la soupe en conserve... effectivement, beaucoup de Québécois s'en nourrissent encore! Si on pouvait trouver une formule qui les amènerait à se dire «Je m'améliore, je fais des progrès» plutôt que «Je fais des efforts, mais ce n'est pas suffisant, alors tant pis»...
HL: Il faut dire que la notion de culpabilité est très forte, surtout chez les femmes.
MM: Énorme! Encore plus chez les mères sur qui repose toute l'alimentation de la famille. Non seulement elles se sentent coupables pour elles-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. On le voit beaucoup chez les mères d'enfants avec un surpoids, tous les regards sont sur elles: «Mais qu'as-tu fait? Comment as-tu pu le laisser engraisser à ce point jusqu'à l'adolescence?» C'est très culpabilisant.
HL: On est coupable de ce qu'on fait et de ce qu'on ne fait pas...
MM: Comme parent, on fait des bons coups, disons, deux fois sur trois, dans l'alimentation comme dans le reste, et ce n'est pas toujours par manque de connaissance, puisqu'on est bombardés d'informations. Si on vient pointer du doigt ce tiers des coups ratés, c'est dérangeant.
Saine alimentation: éviter les prescriptions
MM: Laissons donc tomber les «vous devez» et autres impératifs... c'est d'une tristesse! Il n'y a aucun plaisir à faire quelque chose parce qu'on nous y a obligé. Et, plus on a de connaissances sur des données probantes, plus on est enclin à prescrire. C'est un piège pour le public. Parce que plus les gens vont l'entendre, plus ils vont se sentir coupables de ne pas manger leur demi-tasse de bleuets, leur portion de choux de Bruxelles, leur cuillerée de ceci, de cela...
Tournons plutôt ça dans un autre sens en suggérant au lieu de prescrire. Oui, il y a des évidences, des données, des minimums à atteindre... et on va y arriver ensemble, mais chacun à son rythme.
HL: En même temps, les gens demandent: «Oui, mais combien je dois en manger? Combien de fois par semaine?» Ils veulent savoir...
MM: Quand des familles me demandent: «Combien de fois par semaine doit-on souper ensemble?», je réponds «Combien de fois par semaine soupez-vous ensemble? Une fois? Êtes-vous capables de vous rendre à deux?» Sinon, on va protéger l'unique moment.
HL: C'est déjà une augmentation de 100 %. Merci beaucoup, Marie. Veux-tu du dessert? Avec le poisson qu'on vient de manger, on devrait être «good enough»... (rires)
(Je lui avais préparé des brownies.)
MM: Des brownies? Very good indeed...